Interview 2013.

Philippe Chignier, auteur et metteur en scène

Philppe Chignier au Festival de Châtillon 2014
Philppe Chignier au Festival de Châtillon 2014

GD.  Philippe, tu as écrit Les Tellines qui évoque la question des migrants, Down Town où il est aussi question d’un émigré… D’où vient cet engagement dans tes textes ?
PC. Je ne sais pas vraiment. D’accord, un de mes grands-pères est né dans le sud de l’Italie, mais c’est banal. Ce qui m’étonne plus, c’est le discours ambiant qui pose d’emblée l’immigrant ou l’étranger  comme problème. Comme si  le premier occupant était par nature du côté du droit, de la justice, de la raison, des bonnes mœurs. Comme si  également, le monde était fait de natifs sédentaires parmi lesquels des voyageurs, des déplacés seraient l’exception. Or on sait que si loin qu’on remonte, on assiste à des croisements, des métissages, des mouvements de populations : il est absurde de considérer des populations statiques, avec parmi elles des trublions qui bougent et sèment le désordre. On sait aujourd’hui que Neandertal a côtoyé Cro-Magnon, que nous sommes moins des gaulois que des barbares. A Lyon, le nom de la célèbre rue Mercière ne vient pas, comme je l’ai longtemps cru, du textile ou du commerce, mais de « Mersour », le village, le bourg… Aux îles du cap vert, j’ai rencontré devant une gargote de plage un type qui avait l’air d’un mendiant : c’était le patron du restaurant, qu’il s’était acheté après avoir été 10 ou 20 ans employé par le Boston Symphony Orchestra pour entretenir les violons de l’orchestre… Qu’on cesse de nous bassiner avec la pureté, les origines…
CHATILLON 2014 (172)-Philippe ChignierGD. De là ton engagement.
PC.  En fait, je ne me sens pas « engagé ». Je ne milite pas particulièrement. Mais en écrivant, je parle forcément du monde d’aujourd’hui…du peu que j’en connais. Dans mes pièces, je ne cherche pas à traiter un sujet, à défendre une thèse, surtout pas. Je confronte des personnages à des situations, ce qu’on appelle « la réalité »…un peu décalée : « dans le quotidien, découvrez l’insolite » disait Brecht (1). Et Brassens chantait « Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part ».  C’est moins de l’engagement que du bon sens. Mais je crains que ça se soit aggravé depuis Brassens.
GD. Militant tout de même au sein de la FNCTA ?
PC. Vraiment ? Un peu par hasard, alors. Comme beaucoup, j’ai démarré le théâtre au lycée, à 16 ans. J’ai continué par des cours, des stages, une pratique parfois interrompue… J’ai à mon tour animé des ateliers, où j’ai côtoyé Jean-Paul Saby : impossible dès lors d’échapper à la FNCTA… J’ai ensuite été amené à prendre part à l’organisation du festival de Châtillon, un peu, puis un peu plus… L’action départementale ou régionale est venue avec.
Si, comme dans le sport, l’adhésion à une compagnie entraînait automatiquement le fait d’être licencié et d’appartenir à une fédération,  on s’apercevrait que la pratique du théâtre concerne pas mal de monde. Ce serait une force. Mais aussi un investissement moindre dans la démarche associative, qui exige un volontariat. Faire comprendre que se fédérer n’est pas un asservissement à une nomenklatura mais un regroupement de moyens, d’initiatives…
Philippe Chignier-JournéeComedienRhoneJanv2016-x1400GD. Tu as eu des responsabilités au sein du Comité département du Rhône de la Fncta, de l’union Rhône-Alpes, tu participes à l’organisation du festival de Châtillon : comment vois-tu l’évolution des pratiques théâtrales des amateurs ?
PC. D’abord, je ne la vois que très partiellement. La rubrique « nos troupes ont joué » de Théâtre et Animation fait ressortir la place toujours prépondérante du théâtre « mort » comme disait Peter Brook (2). Cela m’étonne toujours. Mais ce que je connais mieux, ce sont des évolutions nettement positives : les troupes qui se forment. Qui découvrent des auteurs d’aujourd’hui ou s’investissent, lorsqu’elles présentent des pièces classiques, dans de réelles recherches sur la lettre du texte, sur la commedia, le baroque, sur l’art et l’esprit du temps.  Beaucoup ont en leur sein des ateliers jeunes qui  assurent  la relève et promeuvent un théâtre exigeant pour tous, ce que l’Ecole globalement ne fait pas.  Les troupes ne « s’attaquent » plus aux auteurs : ce n’est plus Mozart qu’on assassine : elles les servent de leur mieux. Il me semble que pour beaucoup de compagnies, on est passé en quelques années de la distraction en bande organisée à une vraie démarche artistique. Un village de 280 habitants peut receler une troupe qui associe musique, théâtre  de tréteaux, chant, mime, clown…pour servir un texte  d’un poète dramaturge contemporain (je pense au Poulailler de Pierregot, dans la Somme, jouant J-P Siméon). Il y a 15 ans à Châtillon, nous choisissions 6 spectacles parmi 25 candidats dont 12 convenables. Aujourd’hui, sur 60 candidats en moyenne, nous en choisissons 15 pour 40 bons, voire très bons spectacles. L’action de la fédération y est pour beaucoup, mais aussi l’envie de plus en plus partagée de se former et d’aller voir les autres, ce qui se joue ailleurs, dans les théâtres institués.
GD. A titre plus personnel, comment articules-tu ta pratique de comédien, de metteur en scène, d’auteur ?
PC. J’ai ‘toujours’ plus ou moins écrit : gamin, de petites histoires, adolescent, des poèmes ravagés que je croyais ravageurs, et puis bien plus tard du théâtre… Avec beaucoup de textes que je trouve insatisfaisants, et d’autres que je crois meilleurs. Aboutis. L’écriture n’est pas constante, mais jamais bien loin, un peu consubstantielle. Pour le reste, cela fait 7 ans que je n’ai pas joué. J’aimerais m’y remettre, mais ce n’est pas un besoin, une démangeaison. (Tiens, je réalise en répondant que je n’ai jamais eu l’idée d’écrire un texte que je jouerais). La mise en scène en revanche m’attire de plus en plus : je souffre comme enseignant des analyses souvent abstraites, purement verbales, des textes. Mette en scène, c’est s’imprégner d’un texte et lui donner vie, lui donner chair, matière. Un vrai plaisir, qui se nourrit de beaucoup de questions, de doutes très angoissants. Et ce doute-là, c’est un moteur.
Entretien réalisé le 8 mai 2013 avec la complicité de Guy Dieppedalle.
Photos de haut en bas : Guy Dieppedalle
1. Prologue à L’exception et la règle.
2. L’expression « deadly theatre » ne signifie pas vraiment mort, ni « mortel » au sens d’ennuyeux. Plutôt comme mort, ou sans vie interne, sans souffle.

Bibliographie de Philippe Chignier

° 1989.  Jacques le fataliste et son maître. Adaptation scénique du texte de Diderot pour 2 à 5 comédiens. Librairie théâtrale 2015
° 2002.  Dialogues de bois
° 2005.  Ring. Comédie dramatique. Distribution modulable. Pièce interprétée.
° 2006. Les Tellines. Comédie dramatique. Pièce interprétée. Distribution modulable.
° 2009.  Down Town. Drame burlesque. 2 h. Editions L’Harmattan. Pièce interprétée.
° 2009.  La véridique histoire d’Alice Alphabette. Biographie fantastique
° 2013. Le Bar à thym
° 2014.  Une conférence. Monologue + rôle muet + support filmique
° 2015.  La poudre d’escampette. Edition Art et Comédie.
° 2015  Une glissade. Pièce pour 2 comédiennes.

Pièces courtes

° Un dimanche plus vieux. Le Proscénium. Sketch. 1 h – 1 f
° Un chiffre en moins. (Version Homme – Version Femme)
° Recettes.  Ecrite en 2015 pour le 30° anniversaire du Festival national de Châtillon sur Chalaronne (mai 2016).
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