J’allais voir sa pièce LE PETIT COIFFEUR à AVIGNON 2021 et je notais dans son texte une petite imprécision, sur le fait qu’à la libération, il n’y avait que très de résistants qui connaissaient les détails sur le chef de la résistance, à savoir JEAN MOULIN (il faudra attendre le premier procès HARDY en 1947 pour connaitre tout cela).
Sur son messenger, j’envoyais ma modeste remarque avec mes félicitations à l’auteur et à ma grande surprise, il me répondait très aimablement. Depuis, nous avons entretenu des relations épistolaires via les réseaux sociaux et je lui ai annoncé que j’allais voir sa dernière pièce cet été à AVIGNON.
Et à ce moment là, par téléphone, il a accepté le principe d’une interview par Cléa.
Lisez là et appréciez sa qualité d’auteur ! Longue carrière à l’auteur et à ses créations !
Gilles Champion
INTERVIEW
JEAN-PHILIPPE DAGUERRE · METTEUR EN SCÈNE, COMÉDIEN ET AUTEUR
POUR COMMENCER, PEUX-TU TE PRÉSENTER POUR NOS LECTRICES ET LECTEURS ?
Je suis Jean-Philippe Daguerre, comédien, metteur en scène et auteur.
Je dirige une compagnie qui s’appelle Le Grenier de Babouchka, qui se situe à Paris.
J’ai un parcours un petit peu particulier, je suis un peu un autodidacte de ce métier.
Je n’ai pas fait de grandes écoles, de grandes études et surtout, je me suis mis très tard à l’écriture. J’ai d’abord été comédien mais aussi chanteur dans un groupe de rock. Dans ce groupe de rock, j’étais un peu le leader et, c’est plus à travers la scène rock que j’ai appris et aimé organiser les choses, diriger les artistes. J’ai organisé beaucoup de spectacles-concert, c’est donc par la scène rock que je suis venu à la mise en scène et même à l’écriture, en écrivant les chansons.
Parallèlement, j’avais ma vie de comédien, et c’est sur le tard, en ayant fait des adaptations pour le jeune public ou pour des opéras, que je me suis senti l’envie de me jeter à l’eau en écrivant une pièce, tout seul : Adieu Monsieur Haffman.
J’ai pris beaucoup de plaisir à le faire et à partir de là, ça m’a encouragé. Cette reconnaissance pour Adieu Monsieur Haffman, m’a donné des ailes pour écrire quatre autres pièces. Donc j’ai enchaîné avec La famille Ortiz, Le Petit coiffeur, j’ai coécrit Le Voyage de Molière, en ce moment, se joue Le Huitième ciel, et une dernière pièce, Du Charbon dans les veines, qui va être créée à Avignon l’année prochaine. Tout d’un coup, à l’approche des 50 ans, j’ai eu une plongée dans l’écriture, un nouveau plaisir.
Je me suis découvert, on va dire, non pas un talent d’auteur, le talent ce n’est pas à moi de le juger, mais un plaisir d’auteur.
Ça a été une ouverture, une nouvelle perspective que je ne pensais pas pouvoir vivre et c’est hyper agréable. L’écriture complète un peu ma vie de théâtre, en tant que comédien et metteur en scène. C’est une corde à mon arc de plus et dans laquelle je prends beaucoup de plaisir, car c’est un plaisir nouveau.
Adaptation de la pièce de théâtre par Fred Cavayé
C’EST UN PLAISIR QUI EST RÉCOMPENSÉ ! PLUS DE 1000 REPRÉSENTATIONS DE “ADIEU MONSIEUR HAFFMAN”, MAIS AUSSI UNE ADAPTATION EN FILM !
Oui ! Nous en sommes à 1060 représentations en France et à l’étranger, il a été traduit dans 20 langues et joué déjà dans une dizaine de pays. Donc c’est vrai qu’Adieu Monsieur Haffman, c’est un succès. Ce que je n’aurais jamais cru. C’est une pièce dramatique. Sur une comédie, ça arrive souvent, mais sur une dramatique c’est très rare, donc j’apprécie d’autant plus la chance que j’ai de pouvoir encore le jouer et qu’il soit joué dans plusieurs pays.
Adieu Monsieur Haffman ça a été un beau cadeau, la chance du débutant. Alors, maintenant j’essaie de faire d’autres pièces pour montrer que, peut-être, ce n’est pas que de la chance ! (rires)
Le film, c’est la cerise sur le gâteau. J’étais flatté que le cinéma s’intéresse à moi. Je suis un homme de théâtre, donc le cinéma n’est pas une fin en soit, c’est un plus.
Le film a été réalisé par Fred Cavayé qui est un ami de 25 ans. Quand j’ai écrit la pièce, la première personne à qui je l’ai envoyée, c’était à lui. En écrivant, je m’étais dit que cette pièce ferait bien un film. Donc, quand les hasards et le dessein de ma vie, m’ont posé que Fred Cavayé fasse le film, j’ai été très heureux.
Il y a aura aussi Le Petit coiffeur, et c’est Mounia Meddour qui va réaliser le film. Elle est en ce moment sur le scénario. Donc, de la même manière, je suis très heureux.
J’ai aussi deux très belles captation réalisées pour la télévision pour Adieu Monsieur Haffman et pour Le Petit coiffeur avec un système de prise de vue et de son assez élaboré qui fait que d’un coup on trouve du plaisir à regarder du théâtre à la télé, quand c’est bien fait et investi par le réalisateur. Il s’agit de François Hanss, et il a vraiment un vrai talent de savoir capter les émotions du théâtre. Donc je suis assez comblé.
Et puis je suis surtout comblé du destin de ces spectacles là, qui continuent encore à jouer en plus.
… Je ne fais pas des pièces pour raconter l’histoire (…) Je suis là pour imaginer une histoire dans un contexte historique (…) rêver quelque chose à l’intérieur de quelque chose qui a existé.
PENSES-TU QUE LE THÉÂTRE, TON THÉÂTRE, PEUT AIDER À PRÉSENTER AUX NOUVELLES GÉNÉRATIONS LES GRANDES TENSIONS DE L’OCCUPATION (JE PENSE AU MAGNIFIQUE MONOLOGUE DE LA DAME SUR LA JEUNE FILLE QUI A TRAHI) ?
Bien sûr, quand on traite un sujet comme ça, il y a cet esprit-là. Mais après, il y a aussi tout le romanesque qui prend le dessus. Quand on raconte une histoire, c’est aussi pour raconter l’histoire des hommes à l’intérieur, telle qu’on l’imagine. Quand tu es auteur, tu as la prétention de penser que même si n’ayant pas vécu cette période là, tu apportes un regard neuf, le regard d’un homme d’aujourd’hui. Cela amène tout d’un coup un regard différent, tout en ayant des faits historiques, sur l’humanité. Je cherche à trouver de l’indulgence aux êtres humains malgré leurs défauts.
L’occupation est un sujet sensible, mais aussi un endroit particulièrement intéressant pour observer la peur, la lâcheté, le rouage.. et puis, la difficulté à trouver la bonne position.
C’est un endroit un peu extrême dans notre histoire de France. Je fais partie d’une génération qui n’a pas connu la guerre, mais qui a été très influencée par les grands-parents, les parents qui l’ont vécu. Évidemment, nous sommes baignés là-dedans, mais je ne fais pas des pièces pour raconter l’histoire.
Les professeurs, les livres sont faits pour ça. L’historien s’en charge.
Moi, je suis là pour imaginer une histoire dans un contexte historique. Ce qui m’intéresse au fond, c’est la petite histoire qui me permet la grande histoire, l’histoire interne des personnages.
Et, cette rencontre peut faire écho à notre génération, notre société d’aujourd’hui, à travers une forme d’étude psychologique et sociale que tout d’un coup je me permets de traiter en tant qu’auteur à travers l’histoire.
Le seul intérêt pour moi, c’est de raconter quelque chose qui m’est intime dans ma sensation de relation entre les hommes. Donc, partir presque un siècle plus tard, quatre-vingts ans plus tard, ça me permet d’être romanesque à l’intérieur de quelque chose de réel. Et c’est ce qui m’intéresse au théâtre, de rêver quelque chose à l’intérieur de quelque chose qui a existé.
TU VIENS DE CRÉER À AVIGNON OFF TA PIÈCE, LE HUITIÈME CIEL. ELLE RENCONTRE UN IMMENSE SUCCÈS. QU’EST CE QUI T’A POUSSÉ À ÉCRIRE CETTE PIÈCE, ÉTONNANTE DANS LE CONTEXTE ACTUEL ?
C’est une pièce totalement différente !
C’est l’histoire d’une femme fortunée qui part à la retraite. Elle est riche, tout lui sourit, elle fait ce qu’elle veut, c’est une forme d’enfant gâtée de la vie, elle a le les ministres au téléphone en direct, la table réservée dans les grands restaurants quand elle veut, et tout d’un coup, arrivée à la retraite, elle n’a plus tout ça.
Donc il y a cette première chose, quand tout d’un coup quand tu n’existes plus dans le monde social et professionnel, dans la société, tu passes au second plan. Donc comment est-ce que tu vis cette mise en second plan ?
Très rapidement dans l’histoire, son mari avec qui elle a vécu trente cinq ans, lui explique qu’en fait il n’y arrive pas et il l’a quitte.
Elle pensait qu’elle était à un moment de sa vie où tout était solide et construit, et tout s’effondre d’un coup, elle apprend donc ce que c’est que la solitude.
Il y a donc une reconstruction qui va s’opérer, par la rencontre d’un personnage, qui est son jardinier et qui va faire le lien pour l’amener vers d’autres personnes vers qui elle ne serait pas aller avant.
Je ne vais pas raconter ce qu’il se passe, mais elle va découvrir un monde qu’elle ne connaissait pas, le monde de la misère, de la pauvreté. Mais aussi le monde de personnes qui ont de la dignité, du courage aussi.
Cette rencontre entre deux mondes qui ne se seraient jamais rencontrés, va faire éclore quelque chose de nouveau, qui va complètement la changer.
C’est une forme de fable sociale et humaniste, sur une vision que j’ai à la fois sur la petite mort des gens, que l’on déconsidère énormément après la retraite, pour qui que ce soit, quel que soit son milieu social. Après la retraite, nous ne faisons plus partie du mécanisme social.
Ça parle aussi de l’indulgence, de la seconde chance.
Il y a aussi cette envie de faire en sorte que peut-être, les puissants ont intérêt à se rapprocher des plus faibles, parce que les plus faibles leur ont apporté beaucoup, et que leur puissance ne tient pas longtemps. Je pense qu’on a tous à donner aux autres.
C’est une fable que j’essaie de ne pas faire trop manichéenne, en essayant de me mettre à travers tous les points de vue, tous les personnages.
Je dis toujours que je me mets à travers les meilleurs et les pires de mes personnages, parce qu’il y a toujours un peu de moi dans chacun d’entre eux. Parce que l’on n’est pas parfait, que l’on est des êtres faibles. Voilà, à partir de là je raconte des histoires.
Je ne dis pas que l’homme est bon, mais que l’homme est ambitieux, parce qu’il essaie de faire quelque chose d’impossible.
PLUS GLOBALEMENT, ON SENT UN VRAI HUMANISME DANS TES TEXTES, SERAIS TU D’ACCORD POUR ÉCRIRE QU’AU FOND DU FOND, “L’HOMME EST BON” ET QUE C’EST LA SOCIÉTÉ QUI LE PERVERTIT ?
À TRAVERS NOTRE ENTRETIEN, JE TE SENS PROCHE D’UN VICTOR HUGO.
Je pense que la société ressemble à l’homme, donc elle est bonne et mauvaise.
Ce que je trouve de formidable chez l’homme, c’est qu’il essaie, tant bien que mal, de créer une société, qui nous remet tout le temps en question sur nos sujets, je pense que l’homme naturellement, n’est pas du tout bon ou pas bon.
Je pense que l’homme, naturellement est sur sa peur, il a un réflexe animal, il a réussi, grâce à son intelligence, à créer une société. Chose extraordinaire que de créer une société !
L’homme a trouvé quelque chose pour que ça fonctionne, malgré les égoïsmes, les peurs, les angoisses, la puissance, le pouvoir des plus forts sur les plus faibles. Il y a toujours ce réflexe de devoir avaler quelqu’un. Qui est, à mon avis à la base même de notre race des hommes.
Comment prendre part à ce petit monde pendant nos petites vies ?
Nous allons essayer de faire en sorte que ce soit le plus équilibré possible et finalement essayer de pouvoir avoir l’utopie que les hommes peuvent vivre ensemble, être heureux, sachant que l’on n’y arrivera jamais, et que l’on n’y arrive pas. Mais au moins essayer permet de faire un peu moins pire que si nous avions laissé faire.
Je suis positif par rapport à ça. J’ai tellement conscience de tous mes défauts, donc ceux de mes pairs aussi, que d’avoir envie de créer des choses ensemble, je trouve que c’est louable.
Donc je ne dis pas que l’homme est bon, mais que l’homme est ambitieux, parce qu’il essaie de faire quelque chose d’impossible.
Alors, pour Victor Hugo je prends le compliment, bien entendu !
J’adore ces auteurs-là, comme Marcel Pagnol d’ailleurs, chez qui il y a beaucoup de tendresse.
J’aime les auteurs humanistes, alors ça ne veut pas dire que j’en suis un, mais ça veut peut-être dire en tout cas que c’est ce que je recherche.
VENONS EN AU THÉÂTRE AMATEUR. AS TU UNE OPINION SUR L’UTILITÉ SOCIALE DE CETTE PRATIQUE ARTISTIQUE ?
Alors, mon opinion est simple. C’est un peu bateau ce que je vais dire, mais la base du théâtre professionnel, et du théâtre en général, c’est bien entendu le théâtre amateur, parce qu’on est tous et toutes des comédiens amateurs qui sont devenus professionnels.
C’est le berceau de tout.
Pour créer un métier, il faut passer par le théâtre amateur. Et il y a surtout le spectateur.
A Avignon, en voyant le nombre de comédiens amateurs de toute la France qui viennent au festival, c’est une preuve qui amène la passion du théâtre à plein d’endroits. C’est le terreau du théâtre.
Je le dis sans démagogie, j’ai participé depuis toujours à plein de jury. et notamment à Maison-Laffite, pour un festival de théâtre amateur où j’ai été 3 fois dans le jury, j’ai présenté très souvent en clôture, mes premières pièces que je mettais en scène.
J’ai aussi 3 comédiens dans Le Grenier de Babouchka, à qui je donnais des cours en mélangeant des amateurs et des professionnels. J’avais des amateurs très confirmés, très talentueux. Trois d’entre eux sont donc maintenant dans la compagnie, car je trouvais qu’ils avaient largement le talent pour être professionnel.
L’amateur est super, il a un autre métier et il adore le théâtre, il permet la transmission de cette passion et nous professionnels, nous en avons besoin. Sans le théâtre amateur, nous n’existons pas.
Je leur dit de continuer de pratiquer le théâtre en bénévole éclairé, parce que vous êtes notre force.
POUR TERMINER, VEUX-TU DÉLIVRER UN MESSAGE GÉNÉRAL À NOS LECTEURS QUI PRATIQUENT LE THÉÂTRE EN BÉNÉVOLE ÉCLAIRÉ ?
Je leur dit de continuer de pratiquer le théâtre en bénévole éclairé, parce que vous êtes notre force.
Quand j’habitais dans le Médoc, je me rappelle d’une troupe qui allait faire les festivals. Et l’association prenait en charge toute l’organisation pour amener leurs adhérents sur les festivals. En tant que spectateur, ou comédien ou metteur en scène, de voir débarquer ces groupes de comédiens amateurs, c’est formidable parce qu’on sent qu’ils sont reliés à autre chose qu’à juste regarder, car ils pratiquent eux aussi. Quand on échange avec eux, c’est différent. On échange avec des gens qui pratiquent le théâtre, nous sommes un peu frères, frères de théâtre.
Donc, continuons la fraternité, continuons à penser que le théâtre est important pour sauver le monde. Le théâtre sauve des vies, moi ça m’a sauvé. Le théâtre est essentiel, contrairement à une mauvaise expression utilisée pendant le Covid. Il n’y a rien de plus essentiel que la culture en général et j’ai même envie de dire le théâtre avant tout !
Parce que c’est l’art vivant en direct avec des gens, donc je pense qu’il est indispensable !
Nous avons besoin de tous les amateurs, de tous les professionnels, de tous les spectateurs, de tout le monde, pour continuer à exister. Parce que ça me semble être vital dans notre société.
Je souhaite que l’on continue tous et toutes à aller au théâtre un peu partout dans toute la France et avoir conscience que c’est quelque chose d’important.
Rester franc les uns envers les autres, exigeants et exiger de la qualité, de l’investissement et rester vigilants à ne pas tomber dans un appauvrissement des sujets.
Il y a une petite tendance actuellement, dans les communes en France, où beaucoup de mairies n’ont pas financé de saisons théâtrales en utilisant les budgets différemment et beaucoup de programmateurs se plaignent de ne plus avoir autant de moyens qu’avant le COVID. Et ça c’est triste. Donc je pense qu’il faut que l’on garde une valeur citoyenne pour convaincre nos élus de l’importance du théâtre. Cela se passe sur l’argent, mais aussi sur les sujets.
Défendre un théâtre exigeant, avec une réflexion sociale et pas simplement un divertissement. J’adore me marrer et surtout je fais en sorte qu’on rit dans mes pièces. Mais ne réduisons pas le théâtre à un divertissement, ou à de la consommation facile. Osons offrir au public des choses différentes