INTERVIEW

Amélie Iahns, Sébastien Bouchet et Laurent Legendre

BONJOUR, POUR COMMENCER POUVEZ-VOUS VOUS PRÉSENTER ?

Sébastien: Sébastien Bouchet, je suis membre de l’association Rêve de foin depuis quelques années et je suis directeur du festival Nuits de Rêve organisé par l’association.

Laurent: Laurent Legendre, membre de l’association depuis 2015, à la fois comédien et, cette année récemment, metteur en scène dans le cadre de l’association et du festival, deux choses qui sont imbriquées. Je suis aussi militant et élu de la France insoumise.

Amélie: Amélie Iahns, je suis la présidente de l’association Rêve de foin. Elle existe depuis 1999, basée en Haute-Loire en milieu rural. Cette association a pour vocation tout d’abord de rénover et de mettre en avant le patrimoine rural, notamment, par la mise en valeur d’un site remarquable pour un festival. La deuxième mission de l’association, c’est la création de spectacles vivants et particulièrement de théâtre au niveau amateur. On a entre cinquante et quatre-vingts membres selon les années. Cette structure organise, de manière annuelle depuis 25 ans, le festival Nuits de Rêve dans ce lieu remarquable des Moulins de Blanlhac qui permet à la fois d’inviter des compagnies professionnelles et à la fois de mettre en valeur et de produire nos créations artistiques amateurs.

QU’EST CE QUI VOUS A AMENÉ VERS LE THÉÂTRE AMATEUR ?

Amélie: L’association a été créée il y a un peu plus de 25 ans par 30 anciens élèves d’une école d’ingénieurs, où il existait un parcours spécifique qui permettait d’avoir du temps dédié à la création artistique (danse, théâtre, technique,…). Pour garder cette liberté et cet espace de création, ils ont créé cette structure et nous trois, qui venons de cette école d’ingénieurs, avons rejoint l’association un peu après sa fondation. 

À titre personnel, je suis tombée dans le théâtre toute petite et après, j’ai continué par le biais de mon école d’ingénieur puis dans cette association.

Laurent: De la même manière qu’Amélie, le théâtre, c’est quelque chose qui m’a accompagné depuis l’âge de 10 ans. J’ai toujours fait du théâtre amateur, d’abord enfant, ados et puis étudiant sur le campus de l’INSA et puis aujourd’hui, toujours de manière amateur. Peut-être la particularité pour moi dans mon parcours, c’est que j’ai eu un long passage par le théâtre d’impro, j’ai fait une dizaine d’années de théâtre d’improvisation, mais depuis 2015-2016, j’ai un peu refermé cette parenthèse pour revenir à du théâtre plus traditionnel, avec le montage de projets collectifs autour d’un texte, d’une mise en scène dans le cadre de l’association Rêve de Foin

Sébastien: J’ai commencé le théâtre à 18 ans. Je suis un ancien membre de la FNCTA puisque j’étais dans une troupe amateur dans le Nord.

"1938"

POUVEZ-VOUS ME PARLER DE “RÊVE DE FOIN”? POURQUOI CE NOM ?

Amélie: Il y a une part importante de rêve qu’on a gardée aussi dans le nom du festival qui s’appelle Nuits de Rêve. Et effectivement, avoir des rêves quand on est enfant ou étudiant, et puis de les garder et de les porter tout au long de la vie. 

Sébastien: Ils ont acheté une maison, qu’ils ont retapé. Ceux qui étaient un peu moins doués en travaux ont tout de suite travaillé sur des mises en scène. Seulement, ils n’avaient pas d’espace pour les présenter, ils ont donc créé le festival Nuits de Rêve en 1999. Amélie et moi les avons rejoints en 2001 en tant qu’acteurs sur un spectacle et Laurent est arrivé un peu après nous. Et au fur et à mesure, on est devenu membre permanent de l’association et puis on a pris des responsabilités, puisque Amélie est présidente et moi, je suis directeur du festival. Par rapport à d’autres associations théâtrales, il n’y a pas de programme annuel, ce n’est pas forcément obligatoire qu’il y ait des créations chaque année, il n’y a pas d’atelier… En fait, ce sont des personnes qui viennent à l’assemblée générale en disant avoir une envie de spectacle, puis se crée un groupe autour de ce projet. Nous ne sommes pas du tout accompagnés par des professionnels. C’est plutôt un format par cooptation.

Amélie: Effectivement ça va fonctionner en porteur de projet: en début d’année, tous les gens qui ont une envie, c’est-à-dire d’être metteur en scène ou d’être chef de projet sur une création collective, vont lever la main et l’exposer. Comme le disait Sébastien, il n’y a pas de planning linéaire de création nécessaire systématique. L’année dernière, on avait sept créations, l’année prochaine, il est possible qu’on n’en ait que trois.

De ce fait, tous les membres de l’association ne jouent pas, mais ils participent forcément au festival, qui est vraiment un moment hyper important de la vie de la structure. Tout le monde se réunit, on se retrouve tous en tant que bénévoles, ça permet aussi un vrai moment de partage.

"1938"

Y-A-T-IL UN DROIT DE REGARD SUR LES DIFFÉRENTS PROJETS ? POUVEZ VOUS ME PARLER DE LA PROGRAMMATION ET DE VOTRE FONCTIONNEMENT ?

Sébastien: On n’a pas de direction artistique dans l’association qui fixerait des règles et des orientations par rapport aux propositions des gens de l’association. Donc globalement, s’il y a la place dans le festival on programme le spectacle proposé par la personne, sans aucune censure. 

Aujourd’hui, les spectacles amateurs représentent 25% de la programmation, le reste, ce sont des troupes professionnelles. C’est un festival de théâtre vivant en plein air où on programme tous types de spectacles. Par contre, on est la seule troupe amateur à présenter des projets. Sinon, on invite des spectacles de danse, de clown, du jeune public… On comptabilise plus de 6000 entrées sur 5 jours avec des spectacles de 11h00 à 00h00 qui se passent dans des clairières et des forêts de notre petit village.  

Laurent: On a tous une vie professionnelle à côté de notre pratique de théâtre amateur qui se repose beaucoup sur les week-ends. Le format, c’est d’aller en Haute-Loire pour travailler, pour répéter, et donc, assez vite dans l’année, on va mobiliser plusieurs week-ends entre cinq et dix pour la création. Ensuite, on a toute la semaine du festival, l’avant et l’après pour l’installation et le démontage. 

Les pièces qu’on joue durant l’été, on essaie de les rejouer à Lyon à l’automne, mais du coup ça remobilise du temps supplémentaire, qu’on aime bien parce qu’une fois que les créations sont faites, c’est quand même gratifiant de pouvoir les reprendre.

"1938"

QUELLE ÉTAIT LA PIÈCE QUE VOUS Y AVEZ PRÉSENTÉ ? ET QUEL A ÉTÉ SON ÉCHO DANS CE CONTEXTE POLITIQUE SI PARTICULIER ?

Laurent: La pièce “1938”, Sébastien a le premier rôle dans cette pièce. Je ne m’étais pas frotté à la mise en scène depuis 2012, lorsque j’avais monté “Trahison” de Harold Pinter. Et le fait d’avoir ce cadre associatif qui est fait pour ça, m’a encouragé à aboutir ce projet que j’avais en tête depuis plusieurs années. C’est une pièce qui est inspirée d’un roman d’Antonio Tabucchi, “Pereira prétend” qui parle du fascisme au Portugal sous Salazar. On est en 1938 aux portes de la Seconde guerre mondiale et on suit un journaliste qui s’occupe uniquement de la page culturelle et qui, petit à petit, va être confronté assez vite à la censure. Il va se rendre compte que le monde dans lequel il vit est un monde où la dictature s’installe petit à petit, mais il ne l’avait pas vue. Ce qui est intéressant dans cette pièce, c’est qu’il y a d’un côté cette lecture très politique et de l’autre, il y a un personnage vraiment extrêmement touchant, veuf, qui n’a pas d’enfant, très seul, très isolé, qui est clairement en dépression. On le voit s’ouvrir et se réouvrir au monde, même si c’est très lent. Il essaye de sortir de sa vie antérieure où il est resté figé dans le passé lorsqu’il vivait avec sa femme avant qu’elle ne décède. On assiste à une espèce de renaissance où il va s’attacher à un jeune résistant, qu’il va prendre pour son fils. Cette pièce en soi est intéressante sur plein de tableaux et de fait, on l’a jouée tout de suite après les élections législatives avec cette épée de Damoclès où on n’a pas su si l’extrême droite allait prendre le pouvoir législatif et exécutif en France. L’extrême droite prend de plus en plus de responsabilités dans notre pays et c’est très inquiétant, je pense, pour la culture en général, pour le théâtre en particulier et pour le journalisme.

Ça a évidemment eu un écho particulier de jouer ça à ce moment-là. Au mois de juillet le public a eu beaucoup d’émotions à la réception de cette pièce. Je pense aussi que ça a permis de libérer un peu toute la tension qui avait eu autour de cette actualité.

PAR LE BIAIS DE CE STATUT D’ÉLU ET CE MANDAT QUE VOUS AVEZ, COMMENT EST-CE QUE VOUS VOUS SERVEZ DU THÉÂTRE POUR FAIRE AVANCER OU FAIRE ÉVOLUER LA SOCIÉTÉ ?

Laurent: C’est une vaste question… Je ne sais pas si je fais les choses de manière si consciente, quelque part avant d’être un élu, je faisais du théâtre. J’étais déjà d’une certaine manière militant politique, mais le théâtre existe avant tout ça. Aujourd’hui, je continue à faire du théâtre, finalement que je sois élu ou pas élu. Ce sont des choses qui peuvent être lues de manière indépendante, même si les choses finissent par se recouper. C’est sûr que par le choix des pièces qu’on joue ou des projets qu’on choisit, oui, on a des fois envie d’y mettre un contenu un peu plus politique. 

Avant la pièce “1938”, en 2019 l’association a monté un spectacle, “Chute d’une nation” qui est un spectacle sous forme de série; il y a quatre épisodes de 1h30 de théâtre. C’est une pièce qui a été écrite par Yann Reuzeau en 2012. Elle racontait comment l’extrême droite arrivait au pouvoir en France. On voit que l’association est traversée, il n’y a pas que moi finalement en tant qu’élu. On est un miroir de cette société qui est traversée par ces sujets là et ça finit en partie par remonter dans les choix des spectacles.

On a eu, je trouve, beaucoup de spectacles très féministes ces dernières années et notamment cette année, dans la programmation que Sébastien choisit en tant que directeur et puis avec le bureau du festival. On est simplement le reflet de ce que traverse la société.

Sébastien: Nous programmons de tout et effectivement, en ce moment, les artistes parlent beaucoup de féminisme, donc ça se ressent, et puis, à d’autres moments, ce sont d’autres sujets. On essaie vraiment de toujours programmer des coups de cœur, pas forcément en lien avec l’actualité, mais finalement, on y est toujours.

Laurent: En tant qu’élu, quand je suis dans ce rôle dans l’hémicycle à la métropole de Lyon ou au Conseil municipal à Villeurbanne, j’ai l’impression, malheureusement, de participer à une mauvaise pièce de théâtre. Je pense qu’il y a vraiment un travail énorme à faire, nous élus et toute la société, pour que les représentants, que les citoyens choisissent, agissent et échangent différemment; comment on délibère, comment on échange des arguments, comment finalement on fait l’action publique à travers des séances de conseil public. Malheureusement, c’est du mauvais théâtre où chacun est dans une posture, les choses sont répétées à l’avance, pas très bien apprises, il n’y a pas de surprises ou alors très peu, parce que tout est déjà ficelé à l’avance. Alors que ça devrait être le cœur d’un échange démocratique, sincère, où on s’échange des arguments pour essayer de se convaincre les uns les autres. Pour le moment, c’est vraiment l’inverse que l’on vit et je pense qu’il y a réellement à réinventer.

QUELLE EST L’IMPORTANCE DU THÉÂTRE ? QUALIFIERIEZ-VOUS LE THÉÂTRE DE MOYEN CIVIQUE ET PACIFIQUE DE RÉSISTANCE ?

Laurent: Ça peut être aussi ça, mais ça n’est sûrement pas que ça. En tout cas, moi, je vais aussi au théâtre pour m’émerveiller, pour rêver, pour ressentir des émotions, pour qu’on me raconte une histoire… Mais oui, bien sûr, à un moment, ça peut aussi avoir son rôle d’éveil, de miroir de la société pour faire ressortir les contradictions de notre société, de notre monde, de notre modèle économique.

Sébastien: Il faut quand même préciser que quand Laurent ou Amélie sont dans l’association, ils enlèvent complètement leurs habits d’élus, peu importe pour nous qu’ils le soient ou non, et ça, c’est important. Cependant, il est vrai qu’en tant qu’électeur, je me sens de moins en moins écouté, donc effectivement, quand je suis sur la scène de théâtre et que je suis dans le cadre de mon association, je suis très clairement là pour dire ce que je ressens, notamment sur la politique et sur la société. Je pense que pour beaucoup de gens, l’association a ce rôle là aussi, permettre de dire des choses qu’on ne peut pas dire et qu’on ne peut pas faire entendre.

UN MOT POUR TERMINER ?

Amélie: Nous avons la chance d’avoir une association un peu atypique, vivante et en pleine croissance. Je crois que tout le monde y trouve son compte et en profite.

Effectivement, ce qu’on disait avec Laurent, en tant qu’élue aussi, je pense que le théâtre est fondamentalement politique. Je pense que quoi qu’on fasse et quelles que soient les mises en scène ou les projets dans lesquels on est ou les spectacles qu’on programme, le théâtre est politique.

La pièce “1938” sera rejouée le 9 octobre à 20h30 à la Rotonde de l’INSA à Villeurbanne et le 30 novembre en journée au théâtre l’Assemblée à Lyon 3ème.

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