En 2023, le Théâtre de la Grille Verte fêtait ses 50 ans. À cette occasion, nous avons rencontré Maxime Donot pour nous parler de la genèse et l’ADN de ce lieu.

INTERVIEW

Maxime Donot

BONJOUR MAXIME, POUR COMMENCER PEUX-TU TE PRÉSENTER ?

Je suis Maxime Donot-Saby, membre de l’association du Théâtre de la Grille Verte à Saint-Étienne et petit-fils de Jean Saby qui a fondé cette troupe et a été président national de la FNCTA pendant plusieurs années.

DEPUIS QUAND AS-TU INTÉGRÉ L’ASSOCIATION DU THÉÂTRE DE LA GRILLE VERTE ?

J’ai commencé à faire du théâtre par la régie quand j’avais 11 ans. On m’a appris les bases pour “dépanner” parce qu’il n’y avait personne pour assurer la technique. Ensuite, j’ai joué dans la troupe avant de partir pour faire mes études à Toulouse, puis à Lyon tout en continuant à faire du théâtre et un peu de mise en scène. Et depuis 2 ans, j’ai vraiment rejoint à nouveau l’aventure du Théâtre de la Grille Verte.

PEUX-TU NOUS PARLER DE L’HISTOIRE DU THÉÂTRE ?

Au départ, c’était une salle paroissiale située sous une église, dans laquelle il y avait des activités de théâtre, des projections de cinéma… Ensuite, cette salle a été laissée à l’abandon, dans les années 68, pendant 5 ou 6 ans. En 1973, les fidèles avaient des difficultés à se garer pour se rendre à la messe. Il a donc été suggéré de transformer la salle abandonnée en un garage. Mais le prêtre de l’époque s’était opposé à l’idée, il voulait garder cette salle comme étant une salle de spectacle ou du moins une salle pour des activités. Il a donc proposé à mon grand-père de la récupérer sous forme de location. À ce moment-là, il était contrôleur de train et donnait des cours de théâtre, au sein de la section théâtre de l’Union artistique des cheminots français, à laquelle on est encore rattachés aujourd’hui. C’est une association qui permet aux cheminots de se rassembler pour pratiquer des activités artistiques, de la danse, du théâtre, de la peinture, de la photo…

Mon grand-père avait hérité de cette passion du théâtre par mon arrière-grand-père qui lui aussi faisait du théâtre en amateur, principalement de nature religieuse, dans les années 20-30. À cette époque, la notion de répertoire n’existait pas. L’accès aux textes théâtraux étant limité, les amateurs avaient le choix entre le théâtre de boulevard et les écrits religieux.

Mon grand-père a donc grandi dans cet environnement-là. En 45-47, il a été témoin de l’installation de la Comédie, le Centre Dramatique National, à Saint-Étienne. À défaut de pouvoir jouer dans des théâtres, les représentations avaient lieu sur les places publiques. Ça a été une vraie révélation pour mon grand-père qui a poursuivi sa passion en se détachant du théâtre religieux de son père pour se tourner vers un théâtre plus contemporain et le répertoire avec Musset, Marivaux, Molière…

Il a ainsi continué son activité théâtre en ouvrant des ateliers pour les cheminots à la gare de Châteaucreux. Ensuite, dans les années 70-73, il entend parler de cette salle qui était laissée à l’abandon et qu’il investit. De cette manière, l’association a pris possession du Théâtre de la Grille Verte, qui est devenu une salle au profit des activités de l’UAICF, il y avait à la fois du théâtre, de la danse et d’autres activités.

Mon grand-père passait la plupart de son temps là-bas, et ma mère et mes oncles ont grandi en participant activement à la réhabilitation de cette salle (nettoyage, petits travaux…). Le théâtre est devenu une partie intégrante de notre histoire familiale. Ma mère, Chantal, s’est partagée entre son activité professionnelle, sa vie de famille et cette vie de théâtre. De ce fait, mes frères et moi y allions petits. On allait jouer là-bas, on courait dans les travées et rapidement nous avons été impliqués dans le théâtre.

COMMENT QUALIFIERAIS-TU LE THÉÂTRE DE LA GRILLE VERTE ?

C’est un lieu associatif, marqué par l’esprit de la décentralisation et de l’éducation populaire, animé par des bénévoles. Ma mère, Chantal, est responsable de la troupe, coordonne la programmation (Théâtre Gourmandise du Vendredi) et les accueils. On y pratique tous les aspects de la création (le jeu, la mise en scène, la régie…). C’est un lieu où tu peux venir jouer un spectacle pour la première fois devant un public qui n’est pas forcément ta famille ou tes amis. On accueille aussi de nombreuses associations qui organisent des événements de tout ordre avec parfois peu de moyens. Nous les aidons pour que ces événements puissent s’organiser et que ces personnes puissent se présenter devant un public. On est un lieu un peu intermédiaire, à la marge, mais qui malgré tout possède une bonne installation technique permettant d’y faire des résidences artistiques. Je suis convaincu que c’est un lieu nécessaire pour créer du lien et qui a de l’avenir.

PEUX-TU NOUS PARLER DU SPECTACLE ANNIVERSAIRE ?

Nous avons tenu à raconter l’aventure collective. Il s’agit d’un texte écrit avec Camille Nauffray. Nous nous sommes rencontrés à l’ENSATT (École Nationale Supérieure des Arts et techniques du Théâtre) à Lyon, où nous avons tous les deux suivi le cursus d’administration. Sa maman est professeur de danse. Nous sommes vite devenus amis parce qu’on avait un peu ce passif en commun, de la famille centrée sur le spectacle. Camille a quitté le domaine administratif pour aller vers l’écriture. Elle est aujourd’hui publiée et travaille en tant que dramaturge pour un metteur en scène qui s’appelle Mohamed El Khatib, connu pour ses spectacles de théâtre documentaire.

Lorsque nous avons commencé à réfléchir sur ce projet des 50 ans, je ne savais pas par où commencer. Pour les 40 ans nous avions rejoué des scènes d’anciens spectacles et je ne voulais pas reproduire l’exercice. Camille m’a alors proposé d’écrire un vrai spectacle original sur la vie de ce lieu. Nous avons interviewé une trentaine de personnes : des proches, des membres de la troupe actuelle, des anciens/anciennes qui ont participé à l’aventure et qui aujourd’hui s’en sont éloignés.

Nous avons essayé d’interviewer un panel de personnes qui ont donné du temps à la vie de ce lieu et qui ont vécu cette histoire. Nous avons également relu le répertoire joué par la troupe en essayant de tisser des liens entre les pièces jouées et les éléments de biographie que les personnes nous racontaient. C’est un spectacle avec un aspect documentaire, mais qui s’appuie sur les textes joués par la troupe. Malgré l’envergure du projet, le temps de réalisation n’a pas été conséquent puisque nous avons uniquement répété pendant 4 week-ends. Le temps le plus long fut la collecte d’informations, les interviews, le travail d’archivage, et ensuite, il y a eu environ 6 mois d’écriture. Pour résumer, entre le moment où on a eu l’idée et maintenant, il s’est écoulé un peu plus d’un an.

Le spectacle est joué sur scène par la troupe actuelle, rejointe par des anciennes et anciens qui pour certains remontent sur scène pour l’occasion. Ce qui m’a vraiment plu dans ce projet, c’est la possibilité de rendre publiques toutes les anecdotes qui se racontent au fil du temps. Quand tu grandis dans cet environnement-là, les aînés se remémorent leurs expériences passées: “Ah puis tu te rappelles cette tournée ? Et puis on avait joué là, tu te souviens, on avait eu un beau public, on avait oublié tel accessoire”… Notre objectif principal est de rendre hommage aux personnes qui ont donné de leur temps pour faire en sorte que ce lieu existe encore, car c’étaient exclusivement des bénévoles. Pendant 50 ans, il y a des gens qui ont jonglé entre leur vie familiale, leur vie professionnelle de telle sorte à venir 2-3 fois par semaine, jouer, mettre en scène, mais aussi faire des travaux dans la salle. La gestion technique représente une grosse partie de l’activité du lieu.

Dans le spectacle, on essaie de citer tous les noms, mais il y a eu plus d’une centaine de bénévoles qui ont fait vivre le lieu pendant ces 50 ans.

UN MOT À RAJOUTER ?

Dire qu’on est amateur ne devrait pas être un gros mot, je n’ai aucun problème à dire que je suis amateur. Je suis un professionnel du spectacle, je travaille comme chargé de production à La Comédie de Saint-Étienne. Parallèlement, j’ai une activité en amateur où je fais du théâtre, de la mise en scène, de la direction d’acteurs, des ateliers théâtre… Je sais très bien que ce n’est pas le même endroit, je n’ai pas de prétention à vivre de ça, c’est un enrichissement.

On a tous en nous plusieurs vies : une vie personnelle, une vie professionnelle où on est comptable, on travaille à la poste, on exerce un métier… Et à côté de ça, on se passionne, on apprend des textes, on écoute des auteurs, on va voir des spectacles… Cette vie intérieure et cette créativité que chacun, chacune peut cultiver est une vraie richesse. C’est ce qui me touche, qui m’anime et c’est ce que je défends. La pratique amateure permet une vraie liberté parce qu’on se donne du temps pour avoir une pratique artistique collective dans laquelle on est complètement libres ; tu ne choisis pas un projet en fonction de son potentiel financier. Il y a une vraie liberté d’exploration et de créativité. Alors il faut oser et prendre des risques, parce qu’on en a la possibilité et ça n’a pas de prix !

La tâche la plus utile et la plus immédiate que puissent accomplir les petits théâtres, c’est de travailler au rafraîchissement de la scène en y apportant des non-professionnels. Qu’on nous traite d’amateurs, cela n’a pas d’importance, il n’y a pas de nom plus beau

Jacques Copeau

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