INTERVIEW
Laurence-Anne Nosjean
BONJOUR, POUR COMMENCER POUVEZ-VOUS VOUS PRÉSENTER ?
Je m’appelle Laurence-Anne Nosjean. Je suis la vice-présidente de la troupe Les Fun-en-bulles, et je suis essentiellement metteuse en scène. Je les ai rejoints il y a 8 ans. Avant ça, de 1998 à 2016, j’ai animé ma propre troupe, le Canari-théâtre. Je baigne dans le théâtre amateur depuis de nombreuses années.
En 2022, j’ai eu un cancer du sein. C’est la première fois de ma vie que j’ai dû arrêter de travailler. Je me suis retrouvée à l’arrêt, ce qui ne m’était jamais arrivé. Et là je me suis dit : “Qu’est-ce que je vais faire de tout ce temps libre ?”
Alors j’ai commencé à écrire une pièce. Et ça m’a plu. Depuis, j’en ai écrit quatre. J’ai réussi à transformer quelque chose de négatif en quelque chose de positif.
Aujourd’hui, j’ai deux activités en parallèle : celle d’auteure, et celle de metteuse en scène.
L’écriture, c’est très variable. Parfois ça va très vite, parfois ça prend plus de temps. La première, j’ai mis six mois à l’écrire. Une fois qu’on a l’idée, le mécanisme de la création, c’est quelque chose d’assez spécial… Des fois ça vient tout seul, des fois non, sans trop savoir pourquoi.
J’avais donc contacté Gilles Champion pour lui dire que, chez Les Fun-en-bulles, on a cette particularité : on ne fait que des créations. Jean-Luc Felgeirolles et Benoit Fallet, qui font aussi partie de la troupe, sont auteurs eux aussi. Et finalement, il n’y a pas beaucoup de troupes amateurs qui travaillent uniquement à partir de créations. Donc on trouvait que ce serait bien de mettre ça à l’honneur, de dire : “Oui, il y a aussi des troupes qui créent !”
“Je meurs pour la France… je vous aime”
COMBIEN ÊTES-VOUS DANS LA TROUPE ?
Alors là, on est nombreux ! Je crois qu’on doit être à peu près une cinquantaine, oui.
C’est Pierre Favre qui avait créé la troupe. C’était un professeur d’histoire, et il faisait beaucoup de spectacles historiques. Il aimait se pencher sur l’Histoire. Par exemple, pour le centenaire de la guerre de 14-18, il avait monté trois grands spectacles. Ça a bien occupé tout le monde ! Et puis, avec l’âge, il a passé un peu la main.
Mais c’était pas facile de prendre le relais. Ses spectacles étaient très visuels, avec beaucoup de chansons, de décor, de costumes… On a essayé de garder cet ADN, cette envie de faire des choses historiques, mais ce n’est pas évident. Surtout quand il faut gérer des pièces avec 50 comédiens !
Ces dernières années, on a monté “Si le soleil ne revenait pas“, une adaptation du roman de Charles-Ferdinand Ramuz : on était plus de 30 sur scène.
Et l’an dernier, on a joué “Le cabaret de la marquise“, une pièce de Jean-Luc Felgeirolles, et pareil, on était nombreux.
Cette année, on joue “Je meurs pour la France… je vous aime“, et on est encore pas mal. C’est un spectacle qu’on ne peut jouer qu’en extérieur, donc c’est un peu plus compliqué à programmer.
“Je meurs pour la France… je vous aime”
COMMENT SE SONT PASSÉES CES REPRÉSENTATIONS ?
Super bien ! Vraiment un succès phénoménal. On a joué le 8 mai, c’était un jeudi. Ensuite, on a fait relâche le vendredi, puis on a enchaîné samedi et dimanche. Trois représentations par jour : 14h15, 16h15, 18h15. En tout, on a fait neuf représentations, presque en continu.
Le public devait s’inscrire, parce qu’on ne pouvait pas être plus de 30 par séance — c’était une forme ambulatoire, on promenait les spectateurs. Et franchement, on a eu du monde tout le temps.
Les gens étaient enchantés. C’était très émouvant, il y avait des larmes… Ce n’est pas un sujet facile. Et dans la région, ça résonne fort. On jouait en Haute-Savoie, qui a été un haut lieu de la Résistance. On évoquait des lieux proches, comme Margencel ou La Roche-sur-Foron, donc les gens se sentaient directement concernés.
On a aussi joué le week-end dernier à Fessy. Malheureusement, la météo ne nous a pas permis de jouer le samedi, mais on a joué le dimanche. Moins de monde, mais un public très touché. Nous avons aussi joué aux Aigles du Léman, avec deux représentations, à 18h15 et 20h15. C’était pas prévu au départ, mais on nous a sollicités. Une association d’anciens combattants a parlé du spectacle, donc on risque aussi de le jouer à Thonon-les-Bains le 16 août et aux châteaux des Allinges le 14 juillet.
Après, le souci, c’est la disponibilité des comédiens… avec les vacances, ça devient compliqué. Mais bon, on va s’adapter ! Peut-être raccourcir un peu le spectacle, simplifier certains passages.
ARRIVEZ-VOUS BIEN À VOUS ADAPTER EN FONCTION DES DIFFÉRENTS LIEUX ?
Oui, plutôt bien. C’est un spectacle qui repose sur des lectures de lettres. On a aussi reconstitué une petite épicerie, pour montrer ce qu’était le marché noir, quand il n’y avait plus rien à vendre. Il y a une scène de rafle, une arrestation… Tout ça, on arrive à l’adapter, même si on n’a pas les mêmes repères selon les lieux.
Au début, sur le papier, ça nous semblait un peu étrange. On se disait : “Lire des lettres de prisonniers… où est-ce qu’il nous emmène, Jean-Luc ?” On ne voyait pas trop. Et finalement, ça a pris. Il y a un bon équilibre entre les lettres, les mini-scènes, la musique.
Jean-Luc a écrit et mis en scène la pièce.
Et moi, cette fois, je suis comédienne. Ce n’est pas ce que je préfère — je suis plutôt metteuse en scène — mais là, je fais le lien entre les lettres et les scènes. J’explique aux spectateurs où on est, de quoi il s’agit, de qui on parle.
Franchement, on est très contents de l’avoir fait. C’était l’année des 80 ans (de la Libération), on aurait regretté de ne pas être présents sur ce terrain-là.
“Je meurs pour la France… je vous aime”
POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE PLUS SUR LA JOURNÉE DU COMÉDIEN QUE VOUS ORGANISEZ LE 4 OCTOBRE PROCHAIN ?
Alors, je ne sais pas si vous êtes au courant, mais la plus grosse partie de la Journée du Comédien du 4 octobre va se passer à Neuvecelle. À cette période-là, ils ont un festival, et ils se sont proposés pour accueillir la Journée. Alors ce qui est prévu, c’est que nous, on présentera notre spectacle “Je meurs pour la France… je vous aime”, au château de Chilly à Douvaine, comme on l’a déjà fait le 8 mai. Ce sera sûrement en matinée. Ensuite, je pense que les participants seront redirigés vers Neuvecelle pour la suite de la journée.
“Un mari à tout petit prix”
VOUS ÊTES AUSSI AUTEURE, POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DE CETTE ACTIVITÉ ?
Alors oui, j’ai plusieurs projets en cours et à venir. La première pièce que j’ai écrite s’appelle “Mari à tout petit prix”. L’idée m’est venue pendant ma radiothérapie : j’avais lu un article sur une femme, pendant le COVID, aux États-Unis, qui prêtait son mari à ses voisines pour faire des petits travaux. Et à la fin de l’article, elle disait en rigolant : « Si j’avais pu, je l’aurais vendu ! » Ça m’a fait rire, et je me suis dit : tiens, je vais écrire une pièce là-dessus. Dans ma version, c’est une femme qui met son mari en vente via une petite annonce dans un journal, et là, quatre femmes très différentes se présentent pour l’acheter : une intellectuelle, une snob,… Toutes ont une raison différente de vouloir ce mari ! C’est une comédie, mais avec quand même une morale à la fin.
La pièce fonctionne bien, on l’a jouée une douzaine de fois déjà, et on a encore six ou sept représentations prévues à la rentrée, après une pause estivale. On est très contents du succès !
Mais au sein de la troupe, certains m’ont fait remarquer qu’avec seulement 9 personnages, tout le monde ne pouvait pas jouer. Donc je me suis remise à l’écriture, et j’ai écrit une nouvelle pièce avec 14 personnages, que j’ai tous doublés : on sera 28 sur le projet ! Ça s’appelle “Les diables ne sont jamais en retard”. C’est un huis-clos, ça se passe dans une gare désaffectée : le train s’est arrêté en pleine campagne après que quelqu’un ait tiré la sonnette d’alarme. Les passagers débarquent dans cette gare abandonnée. Au départ, c’est une sorte d’enquête : qui a tiré la sonnette, pourquoi ? Mais très vite, ça bifurque vers une histoire de vengeance. C’est drôle, ça reste dans le registre comique, même s’il y a du suspense. On vient de commencer les répétitions, ça promet d’être sportif avec 28 personnes ! Et comme ça se passe en 1972, on va aussi s’amuser avec les costumes, la musique d’époque… Ça nous permet de sortir un peu des années de guerre, de mettre de la couleur, un peu de modernité.
“Un mari à tout petit prix”
À côté de ça, comme j’avais encore plein d’idées, j’ai écrit une pièce pour une autre troupe. J’avais joué avec eux en remplaçant quelqu’un au pied levé, et ça s’était super bien passé. Un jour, ils m’ont dit : « Tu ne veux pas nous écrire une pièce ? » Alors je suis partie sur quelque chose de complètement loufoque. Je me suis souvenue que j’avais participé à Tournez manège quand j’avais 28 ans, et j’ai mélangé ça avec des émissions comme Mariés au premier regard. Ça donne “Épousez-moi au premier tour de manège”, une pièce qui se passe dans une société de production d’émissions télé, avec une productrice qui organise un jeu de rencontres. C’est une pièce courte, il y a cinq personnages, et c’est très déjanté. Pour l’instant, elle a été écrite sur commande, on ne sait pas encore si on la jouera, mais elle existe.
Et puis plus récemment, j’ai écrit une autre pièce encore. J’étais tombée sur un article parlant d’une femme en Chine qui gagnait très bien sa vie – 40 000€ par mois – en étant pleureuse professionnelle. Avec la politique de l’enfant unique, les familles sont réduites, et il y a peu de monde aux enterrements. Et en Chine, c’est très mal vu. Donc certaines familles paient des gens pour venir pleurer. Je me suis inspirée de ça : dans ma pièce, un homme perd sa femme, mais ne parvient pas à ressentir de chagrin. Tout le monde le juge. Une agence lui envoie une pleureuse professionnelle… sauf qu’au moment de l’enterrement, elle n’arrive pas à pleurer non plus ! C’est un humour un peu noir, mais ça reste une comédie. Elle s’intitule “À vos mouchoirs.com”. C’est une pièce à quatre personnages. J’aimerais bien la monter avec une comédienne de la troupe des Fun-en-bulles, qui serait parfaite dans le rôle d’Annabelle, la pleureuse. Mais pour l’instant, on est bien pris avec “Mari à tout petit prix” et “Les diables ne sont jamais en retard”, donc ce sera pour plus tard.
UN MOT POUR TERMINER ?
Si des troupes sont intéressées ou des comédiennes et des comédiens, mes quatre pièces sont disponibles sur Amazon. Vous tapez mon nom en entier, Laurence-Anne Nosjean, et elles apparaîtront. Voilà, j’espère que ça plaira, et que ça donnera envie à des troupes d’aller y jeter un œil !
Moi, je suis contente d’avoir trouvé cette occupation-là, et j’espère avoir encore plein d’idées à développer. J’ai fait beaucoup de mises en scène, d’adaptations… Je connais un peu les recettes, ce que les comédiens attendent, surtout en amateur. Il faut s’adapter, toujours. Et proposer des rôles intéressants, accessibles.
Je sais qu’il y a souvent plus de femmes que d’hommes dans les troupes, alors j’ai fait attention à ça aussi : créer de beaux rôles féminins. Par exemple, j’ai une pièce avec 9 personnages, une autre avec 14… ça permet d’impliquer du monde. Et puis ce sont des pièces drôles, les gens ont envie de rire.
