Chroniques du festival de châtillon 2013, rédigées par Philippe Chignier

Comment le spectateur peut-il s’exprimer ?

Le Festival National de Théâtre Contemporain se veut une école du spectateur, c’est-à-dire un lieu de rencontre entre les attentes du public et l’expression des auteurs. Au théâtre, l’auteur s’exprime à travers le corps des acteurs. Mais comment le spectateur peut-il s’exprimer, au-delà des applaudissements ou des mouvements d’humeur superficiels ?
C’est pour répondre à cette question que le Festival a décidé de mettre en place un atelier d’écriture non pas de textes de théâtre mais de critique théâtrale, dans toute l’acception et la noblesse du terme, c’est-à-dire apprendre au spectateur à réfléchir sur ce qu’il a vu, et à exprimer ses émotions de façon structurée.
Cet atelier sera destiné avant tout au jeune public. Les jeunes sont habitués à réagir en temps réel aux évènements qui les touchent et nous avons l’ambition de leur proposer, au-delà du réflexe du tag électronique, de prendre le temps de communiquer en profondeur sur ce qu’ils ont vu.
En 2013, en préfiguration à ce que pourra être la production de cet atelier, Philippe Chignier a tenu une chronique affichée au jour le jour au Village du Festival.

De la jeunesse et des villages

Pierregot (Somme) : 260 habitants et le Poulailler. Ils nous ont présenté « Le petit ordinaire » de Jean-Pierre Siméon.
Vesseaux (Ardèche) : 1600 habitants et les Gobelunes qui ont joué « Olympe de Gouges » de Giancarlo Ciarapica.
Voiteur (Jura) : 800 habitants et le Théâtre Spirale qui a donné « Pour rire pour passer le temps » de Sylvain Levey.
Si la campagne française est profonde, si la jeunesse s’interroge, ces trois villages témoignent de la vivacité culturelle qui y règne, ouverte au spectacle vivant et à des textes d’aujourd’hui.
P.C.

Paroles d’acteurs, paroles d’actrices

Comment devient-on comédien ? Du Jura ou de l’Ardèche, les comédien(nes) que nous avons vus pratiquent le théâtre depuis une dizaine d’années.
Ils et elles ont pris le temps de grandir.

Olympe de Gouges. Photo Zeizig-mascarille.com
Olympe de Gouges. Photo Zeizig-mascarille.com

Pourquoi « Olympe de Gouges » ?
–         Nous voulions faire autre chose que de l’humour. Nous recherchions une pièce engagée, et nous étions trois femmes…
–         Et puis il est question d’inégalités encore présentes. Comme l’auteur est contemporain, il peut évoquer des périodes plus proches de nous qui font écho à l’époque d’Olympe : les cheveux rasés, par exemple, même si on ne coupe plus les têtes…
–         C’est Alain et Brigitte [encadrants et formateurs théâtre] qui nous ont fait connaitre le texte, ça nous a plu tout de suite.
« Pour rire pour passer le temps », qui a fait ce choix ?
–         Depuis trois ans qu’on travaille avec le même metteur en scène, on a toujours cherché des pièces qui ont une force, qui soient directes, qui affirment un engagement : il y a eu Antigone, Pinter…
–         Mais avec Sylvain Levey, on a été déroutés par l’écriture : même si les personnages sont clairs, les répliques ne sont pas attribuées. On lui a téléphoné. Il nous a dit qu’on pouvait imaginer le texte comme on voulait. Ҫa nous a libérés.
–         C’est notre metteur en scène qui nous a proposé le texte.
Orane, Mélanie et Maeva, voisines de cellules d’Olympe de Gouges, étudient à Aubenas, Montpellier ou Grenoble : depuis un an et demi, elles se retrouvent pour faire vivre la pièce.
Les interprètes de « Pour rire pour passer le temps » passent le bac dans un mois, d’autres un BTS, etc…depuis un an et demi, ils inquiètent leurs parents pour faire tourner cette pièce.
P.C.

Passerelles

Rencontres peu ordinaires. Châtillon 2013-Photo Zeizig-mascarille.com
Rencontres peu ordinaires. Châtillon 2013-Photo Zeizig-mascarille.com

Quand, étrangement, Philippe Caure fait écho à Michel de Montaigne et à Robert Poudérou
Une scène de « rencontres peu ordinaires » pose cette question :
« Faut-il tout se dire au sein du couple » ? Or c’est précisément l’objet des conversations de « Parce que c’était lui, parce que c’était moi », ou même des « Essais » que Montaigne prétendait écrire pour ses proches.
De proche en proche, la scène de jalousie fort pudique mais fort nette que Françoise (épouse de Montaigne) intente à son époux est la réponse inattendue aux propos de la jeune mariée chez Philippe Caure, qui rêve que devenus vieux, elle et son mari auraient un regard attendri pour leurs incartades de jeunesse. « Vouère » dirait le gascon.
Enfin, si la réponse moderne de Caure aux débordements masculins est « la testostérone », Montaigne qui lui, « n’enseigne pas mais raconte » se plaint assez souvent d’un « membre trop indiscret ».
Echos du temps…
P. C.

Deux augmentations valent mieux qu’une
ou : les portes et le labyrinthe

L'Augmentation-Châtillon 2013-Photo Zeizig-mascarille.com
L’Augmentation-Châtillon 2013-Photo Zeizig-mascarille.com

Le texte en spirale et en bifurcations de Georges Pérec, le Miroir (1) nous l’avait renvoyé sur le mode d’un naturalisme déformé : réalisme du cadre spatial de l’entreprise avec ses portes closes, entrouvertes, battantes ou claquées au nez, réalisme des personnages incarnant peu ou prou l’employé, le chef de service, la secrétaire, etc…Mais réalisme déformé par la répétition et par le jeu emprunté au boulevard (portent qui claquent) ou à la caricature (perruques, nez, accessoires…).
Le Talweg (2), sans doute plus familier des méandres, des confluences et des deltas, nous offre un parcours collectif fluctuant comme la marée, avec ses calmes et ses tempêtes. Ici, pas de décor. Une simple chaise de bureau sur roulettes et un tableau à l’ancienne.
Des comédiens et comédiennes uniformisés. Comme les multiples bras d’une même rivière qui se divisent et se réunissent, ils suivent le cours répétitif du texte, répétitif et sinueux comme la spirale d’un jeu de l’oie ou un labyrinthe au sein duquel on avance hardiment, on s’égare, on revient sur ses pas, on essaie une autre voie.
Il n’est pas question d’indiquer une quelconque préférence mais de montrer comment un même texte, singulier dans sa conception et sa réalisation, peut offrir de variété dans le traitement scénique qui en est fait et la perception qui nous en est donnée.
P. C.
(1) Théâtre du Miroir , Nîmes
(2) Théâtre du Talweg, Saint Maur

LA question

Le silence de la mer-Châtillon 2013- Photo Zeizig mascarille.com
Le silence de la mer-Châtillon 2013- Photo Zeizig mascarille.com

Je me la suis souvent posée : qu’aurais-je fait ?
Et qui aurais-je été, au temps où la question était : faire ou ne pas faire ?
Agir pour qui ? Agir pour quoi ? Pourquoi ?
« Tout changeait de pole et d’épaule
Je trouvais ça tellement drôle
Que si je tenais mal mon rôle,
C’était de n’y comprendre rien ».
Aurais-je bien tenu mon rôle, comme Aragon ?
Aurais-je été Lacombe Lucien pour les beaux yeux d’une étrangère ?
En ce temps-là où la question n’était plus « comment faire » mais « que faire », qu’aurais-je fait, si j’avais eu vingt ans ?
Faut-il parler ou bien se taire ?
Aurais-je parlé ou me serais-je tu ?
Sous la question ?
Il y a sur la scène un damier. Un échiquier. Un jeu à qui perd gagne. Modestement, ils ont choisi de se taire.  Et leur silence me renvoie à MA question : qu’aurais-je fait ?
Est-ce au théâtre à montrer un couple qui se tait ?
Et que celui qui parle ne devrait pas être là ?
Comme la vie est simple désormais.
Du « silence de la mer », je n’avais pas compris le titre. Je propose désormais deux hypothèses : la première, c’est que DE n’est pas d’appartenance : le silence n’appartient pas à la mer : le silence est celui de l’homme qui parle face à la mer dont le tumulte renvoie sa parole au néant. Autre hypothèse : la mer étale, celle du petit matin. Celle dont le silence nourrit les sursauts à venir.
P. C.

LA QUESTION

Pour rie pour passer le temps-Châtillon-2013-Photo Zeizig-mascarille.com
Pour rire pour passer le temps-Châtillon-2013-Photo Zeizig-mascarille.com

Le retour
« Pour rire pour passer le temps » par le Théâtre Spirale de Voiteur
C’est la même question que m’a posée hier « Le silence de la mer » : si j’avais eu 20 ans en quarante, qu’aurais-je fait, et qui aurais-je été ? Victime, bourreau, ou encore complice ?
« Pour rire pour passer le temps » de Sylvain Levey nous la repose dans le contexte sociétal d’aujourd’hui : la guerre n’est pas déclarée, l’occupant n’a pas de nom.
Pourtant le rituel de violence et le processus d’agression s’exercent, d’autant plus abrupts qu’ils ne se parent pas d’alibi militaire ou idéologique.
Si : dans cet univers absurde et brutal, l’unique valeur est celle de la force, de la Nature primant n’importe quel droit de l’homme aboli. Proche de Rhinocéros dans le fond, le spectacle en est très loin par son matériau : Levey qui à maintes reprises a interrogé notre société à travers le regard et le langage décalés de l’enfance, ici n’admet aucun décalage : le seul langage est celui des coups, des armes, des ordres. Koltès est passé par là, chaque parole est primitive, naïve, provocation et menace. L’autre est un jouet.
La mise en scène transpose ce qui ne serait pas représentable : par exemple, les coups portés au visage deviennent des frappes de bâtons au sol. Mais ce faisant, elle transforme l’acte singulier en cérémonie collective, à laquelle le spectateur participe : revêtu de la tenue qu’on lui a remise à l’entrée et qui fond son identité dans la masse, chaque spectateur contribue à la force du nombre. Assemblé en cercle autour de l’arène, le public se nourrit du spectacle d’une mise à mort (*). La fin du spectacle correspond au rejet, par les spectateurs, de leur uniforme, sous lequel les officiants acteurs sont peu à peu ensevelis.
Contrairement à ce qu’écrivait Rimbaud, il semble qu’on soit foutrement « sérieux quand on a 17 ans ».
C’est plutôt réjouissant.
P. C.
(*) : Invité au festival, S. Levey n’a pu venir, étant à Madrid.

La question… suite

Le voyage d'Alice en Suisse-Châtillon-2013-Photo Zeizig-mascarille.com
Le voyage d’Alice en Suisse-Châtillon-2013-Photo Zeizig-mascarille.com

(« Le voyage d’Alice en Suisse » de Lukas Barfüss
et « Cette chose-là » de Hristo Boytchev)
Les deux pièces posent et opposent en miroir la question de l’être et du sens. Là où l’auteur suisse traite de la liberté de donner sens à sa vie en choisissant sa mort, la pièce interprétée par d’autres suisses s’en prend au non-sens qui, comme un ver ronge le fruit, comme une fuite détruit le plâtre, empêche et dénature la vie.
Là où Barfüss distille l’humour et la satire en contrepoint d’un thème douloureux, Boytchev recouvre la banalité de l’existence par une savante mise en place de l’absurde.
La pièce de Barfüss pose la liberté de mourir comme défense du goût de vivre, celle de Boytchev pose la contrainte de vivre comme le triomphe « hénaurme » et  risible du vide.
La mise en scène de « Cette chose-là » multiplie les présences inutiles d’objets et rituels improbables, dont le seul mérite n’est pas de fonctionner mais de nous occuper : horloges-machines au fonctionnement complexe, aussi dangereuses et coûteuses (en charbon) qu’inutiles, montées sur des ferronneries baroques entre véhicule tinguelyen et construction shaddock ; paille pour amortir le choc d’une « chose » immatérielle mais traquée parce qu’elle file le trac ; le métronome, sans autre instrument pour faire de la musique ; le sac, piège destiné à « la chose » mais qui se referme sur le chasseur. Par contre, la maison est bien réelle et sa destruction (toit et grenier) retentit comme un réel bombardement.
La question n’est plus seulement « que faire » mais « que faire de l’encombrant » ? La réponse est donnée : l’envoyer « là-bas, chez les autres » : à l’asile, à l’étranger, au poste de police ? Car l’encombrant n’est plus l’objet, mais l’individu : le retour de l’aliéné se fait par expédition de colis, la belle-sœur « note tout » ce qui ne sert à rien.
Reste la Nature : parfois, elle est rendue impossible par le travail, comme celui du garde barrière (par ailleurs milicien) dont les horaires alternent avec ceux de sa femme. Parfois, elle se limite à la nourriture : 90% de temps pour préparer le repas, 10% pour le consommer. Parfois encore, un couple produit un enfant. Renouveau ? Espoir d’une nouvelle vie ? Difficile à croire quand on vient de nous parler de l’existence consacrée à se nourrir.
Restent des actions, toutes aussi insignifiantes les unes que les autres : après le vain bricolage, la vaine parole, la vaine destruction du domicile (qui n’est pas sans rappeler le Horlà de Maupassant), la vaine traque et la fausse capture, demeure l’incantation : inutile et désopilante prière dansée entre haka et bras d’honneur, cérémonie grotesque pour un monde mort.
C’est bien l’humain trop humain dont « cette chose-là » finit par se débarrasser. Encore peut-on en rire. Pour ne pas s’en laisser conter.
P. C.

Etes-vous Fous ? (1)

La question – encore une- n’est pas un jeu surréaliste : c’est pire.
Le TAM aime à s’investir collectivement sur une thématique large, préoccupante et touchant au plus profond de nous.
Le monstre, le monstrueux, la monstruosité, tel était l’angle sous lequel la troupe interrogeait il y a 10 ans l’altérité, à travers Elephant Man présenté à Châtillon.
Plus récemment, à travers une fable de Brecht,  Le cercle de craie caucasien, l’humain se heurtait aux jeux de pouvoir tournés en farce et servis en musique.
Cette année, l’altérité suit les méandres de l’aliénation. Après plusieurs mois d’un travail de comédiens sur l’anormalité, quatre d’entre eux ont prolongé l’exploration par le texte fameux d’Edward Albee : Qui a peur de Virginia Woolf ?
Pour une plongée en apnée au cœur de l’Illusion.
P. C.
(1) Le titre reprend celui de l’ouvrage de René Crevel (1929) dédié à Paul Eluard et Gala, sa compagne, qui allait devenir celle de Dali.
Page permanente du Festival national de Châtillon + d’infos.
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