INTERVIEW
François Hien – Auteur et metteur en scène
BONJOUR FRANÇOIS, POUR COMMENCER POUVEZ-VOUS VOUS PRÉSENTER ?
Je suis François Hien, auteur de théâtre essentiellement, même si j’ai écrit d’autres choses également, et metteur en scène.
POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DE VOTRE COMPAGNIE “HARMONIE COMMUNALE ? D’OÙ VIENT CE NOM ?
C’est un croisement de plusieurs éléments. Personnellement, j’apprécie beaucoup les harmonies municipales. Mon grand-père en faisait partie. C’est quelque chose qui m’a imprégné et qui évoque pour moi beaucoup de choses, notamment le travail artistique amateur, l’éducation populaire… Et puis il y a “commune”, qui est un mot qui me parle beaucoup. Quand j’ai créé la compagnie avec un ami Nicolas Ligeon, et quand nous étions adolescents, nous allions dans un bar appelé “l’Harmonie”. C’est un peu tout cela pour moi.
QUEL EST VOTRE LIEN AVEC LES AMATEURS ?
Alors nous sommes une compagnie professionnelle et nous ne menons pas d’ateliers pour les amateurs. Cependant, certains de mes spectacles ont nécessité de faire appel à des participants amateurs, mais dans un cadre professionnel. Des projets avec l’Opéra de Lyon, les Célestins ou le TNP…
Après, il y a une partie de mon théâtre qui est publiée aux éditions théâtrales. Depuis la publication, j’ai régulièrement des demandes via la SACD de compagnies amateures qui montent mes pièces. Et je trouve cela extrêmement flatteur, mes pièces tournent dans le “circuit pro”, car je les ai mises en scène. Et puis il arrive que d’autres compagnies professionnelles montent des textes dont ils m’ont passé commande. Mais quand ce sont des amateurs qui montent mes textes, il y a vraiment quelque chose que je trouve très émouvant. Je suis émerveillé par le fait que ces personnes consacrent leur temps libre à travailler sur mes textes, qui ne sont pas toujours faciles. C’est extrêmement gratifiant et flatteur. Malheureusement, je n’ai encore jamais eu l’occasion de voir des créations parce que souvent, les troupes sont loin, c’est un peu frustrant, mais déjà le simple fait que ça existe, c’est formidable.
VOUS ÊTES AUTEUR, POURRIEZ-VOUS NOUS PARLER DE VOTRE THÉÂTRE ?
Souvent, je m’adosse à des enquêtes. Je ne sais pas comment définir; c’est un théâtre qui est très narratif, de personnages et de pensée, je pense. C’est assez touffu, voire complexe narrativement, mais c’est assez accessible par rapport à d’autres théâtres contemporains qui sont peut-être plus difficiles d’accès et qui ont plus de liens avec la poésie contemporaine.
QUELLES SONT VOS DIFFÉRENTES ÉTAPES D’ÉCRITURE ?
Il n’y a pas vraiment de méthode qui soit la même d’une pièce à l’autre, mais disons que souvent, c’est quand même des histoires que j’entends ou des rencontres que je fais et qui me touchent et petit à petit, ça va mettre en marche un imaginaire. Et puis progressivement, il y a une histoire qui s’élabore et elle peut s’éloigner considérablement de l’histoire que j’ai entendue préalablement. Cependant, elle perdure suffisamment en moi comme une espèce de petite mélodie continue, de telle sorte qu’il y a un moment donné où l’histoire existe, elle est là, et je ressens l’envie de la raconter. Souvent, avant de m’endormir, je me mets à penser à l’histoire que j’ai en tête. Et puis il y a des choses qui arrivent et le sommeil vient comme ça. Mais ça peut durer des mois comme ça, sans que j’écrive rien. Et ça peut même ne jamais donner lieu à quoi que ce soit.
Puis à un moment donné, c’est souvent un peu mystérieux, je réalise que je suis prêt à mettre mes idées sur papier. Je me lance donc dans l’écriture et alors là, l’enquête commence. En effet, il y a quelques pièces que j’ai écrites où y a une vraie dimension de recherche derrière. Il fallait que je me renseigne sur certains milieux, que je me dote d’arguments parce qu’il y a des personnes qui allaient porter et cetera. Et c’est à ce moment-là seulement que je me mets à enquêter. L’enquête est très différente en fonction de si j’ai déjà rencontré ou pas, ou si c’est que de la lecture… Et voilà, c’est une phase d’imprégnation qui peut être un peu longue. Et puis ensuite j’écris et quand j’écris, généralement, ça va vite. Mais c’est parce que d’une certaine manière, quand je me mets à la version finale, c’est comme si la pièce était déjà prête en moi.
QUE REPRÉSENTE POUR VOUS LE THÉÂTRE AUJOURD’HUI EN 2024 ?
C’est vraiment difficile pour moi de répondre à cette question parce que je ne viens pas du tout du théâtre à l’origine, je n’ai pas fait d’école de théâtre et je n’étais pas spectateur de théâtre avant d’en faire. J’étais documentariste, je faisais du cinéma. Puis je me suis mis à écrire et il se trouve que j’ai rencontré une compagnie de théâtre qui a monté une pièce que j’avais écrite et puis ça m’a donné envie, je suis venu au théâtre par la pratique. Mes pièces ont été très bien accueillies, donc j’ai eu la chance de pouvoir créer dans de bonnes conditions très vite et je me suis retrouvé professionnel, et même avec une position assez enviable alors que je connaissais pas du tout ni ce milieu ni ce métier.
Il y a un rapport avec la pratique amateur, parce que je suis venu au théâtre, non pas par goût culturel pour le théâtre, mais par attirance pour la pratique. Aujourd’hui, ce dont j’ai envie, c’est d’être avec des gens, dans les salles de répétition, à travailler les textes, les enjeux… Et ce que j’ai envie ensuite, c’est d’être face à des gens qui sont venus pour que je leur raconte une histoire, c’est le dispositif et la pratique qui m’intéresse. Et je ne suis devenu spectateur de théâtre qu’après être devenu moi-même un praticien du théâtre.
CE QUI VOUS A VRAIMENT ATTIRÉ DANS LE THÉÂTRE, C’EST DONC L’AVENTURE COLLECTIVE ET LE PARTAGE AVEC D’AUTRES PERSONNES ?
Oui, c’est l’aventure collective et puis c’est la coprésence, le fait qu’on réunisse les gens dans une pièce pour leur raconter une histoire. C’est très fort le fait que tout se passe en temps réel, avec la présence des uns et des autres, que chacun ait choisi en même temps de vivre la même chose.
ÊTES-VOUS ÉGALEMENT INTERPRÈTE DE VOS TEXTES ?
Oui, je suis devenu interprète. En fait, c’est très bizarre, ce qu’il s’est passé parce que j’ai écrit une première pièce qui était montée dans les conditions amateurs, mais par des comédiens, comédiennes qui sortaient tous d’écoles nationales. Un été, on a monté cette pièce parce qu’ils avaient aimé le texte. Il se trouve que des programmateurs ont vu ce spectacle et l’ont programmé, donc c’est allé très vite. On s’est alors retrouvé à toucher des cachets pour tourner cette création qu’on avait montée de manière informelle, entre nous, dans laquelle j’ai joué parce que j’étais disponible cet été là.
Ensuite, j’ai écrit une deuxième pièce. Et c’est là que le théâtre des Célestins à Lyon, qui avait vu la première création, a pris en production la deuxième pièce. Donc, dès la deuxième pièce, on s’est retrouvé à créer au théâtre des Célestins et comme moi, je n’étais pas du tout metteur en scène, on a décidé d’opter pour une mise en scène collective avec les comédiens, avec un vrai mode de fonctionnement de troupes du dix-huitième; avec l’auteur qui participe à la co-mise en scène, mais la mise en scène qui est décidée par les acteurs entre eux.
Et là, on a décidé de me garder dans la distribution, ça a été vraiment une action collective, j’ai exprimé mes doutes en indiquant que je ne me sentais pas légitime à continuer l’aventure si je n’étais pas sur le plateau, parce que j’avais tellement peu d’idées de mise en scène que je craignais de ne pas pouvoir contribuer efficacement si je restais à l’extérieur. Cependant, les autres m’ont assuré que ma présence en tant qu’auteur dans la distribution les motivait et qu’ils seraient là pour m’aider. Et du coup, ils m’ont formé pendant que je préparais le spectacle avec eux. C’était très généreux de la part parce qu’ils sortaient tous d’écoles nationales et moi, j’étais parmi eux, vraiment un amateur.
J’ai l’impression d’avoir appris le métier d’interprète en jouant cette pièce et en jouant une autre, que nous avons créée quasiment au même moment. Ce qui fait que par exemple, on a fait un gros projet avec l’opéra de Lyon sur la révolte des Canuts pour lequel on a mobilisé une soixantaine d’amateurs, ils avaient tous des rôles, ce n’était pas de la figuration. Et parmi ces gens, il y a des personnes qui étaient vraiment des amateurs au sens fort du terme, qui ont la pratique du théâtre, qui ont développé des compétences, qui font ça depuis des années dans les troupes amateures… Et puis des hommes et des femmes qui n’étaient jamais montés sur une scène, qui n’avaient même jamais rêvé de le faire, qu’on avait trouvé par des associations… Et en fait, je me rendais compte que la manière particulière dont j’étais arrivée dans le métier m’aidait beaucoup pour les idées, parce que je me souvenais de moi ce que je ressentais la première fois que j’étais sur scène, à quel point ça me terrorisait. Et en même temps, je savais que ça se contourne, je pouvais leur dire: “vous allez voir, c’est comme le vertige, ça passe vite”. Après mes camarades qui sont vraiment des comédiens professionnels qui étaient avec moi sur ce projet, étaient aussi très très bons pour les guider avec leurs outils à eux bien sûr et c’était complémentaire.
