Dans une précédente lettre, j’avais évoqué la fraternelle des folles et des fous de théâtre. Cette interview croisée autour de ABS montre que dans cette fraternelle, il y a le “tabernacle” des éditions théâtrales. Car c’est une folie d’éditer des pièces qui se vendent mal et qui oblige l’édition a refusé de nombreux textes au risque d’être mal compris. Et pourtant cette folie est contagieuse car elle est passée de Philippe Absous à Corinne Tissier à qui je souhaite tout le bonheur de vendre les pièces. Vous lirez que la FNCTA est au centre des motivations des uns et des autres, c’est d’ailleurs à l’AG nationale de mai dernier que j’ai croisé Corinne. Quant à Philippe, je le remercie encore de m’avoir fait connaitre LES REGIMES TOTALITAIRES que nous avons montées en 2014 avec beaucoup de plaisir…il y a tant de pièces ABS que j’ai lues et que j’aurais aimé monter….peut être dans ma prochaine vie ? Troupes, achetez des pièces ABS et jouons !
Gilles Champion
INTERVIEW
CORINNE TISSIER · ÉDITRICE
POUR COMMENCER, PEUX-TU TE PRÉSENTER POUR NOS LECTRICES ET LECTEURS ?
Je suis Corinne Tissier, je fais du théâtre depuis de très longues années maintenant. Quand j’ai commencé, je devais avoir à peine à peine 30 ans et j’ai débuté dans une petite troupe, pas très loin de chez moi. Par la suite je me suis formée, et cela dans le cadre d’une université populaire de théâtre. Ce qui permettait de travailler et d’avoir des cours.
Grâce à cette formation, je suis devenue intervenante de théâtre, principalement pour des troupes amateurs et pour des ateliers jeunes. J’ai aussi animé quelques stages en parallèle.
C’était une formation de trois ans qui avait lieu à Troyes, et qui permettait de concilier le théâtre avec un métier. La formation m’a donné un diplôme pour pouvoir être intervenante en théâtre. Mais je me suis aussi formée avec des stages avec des professionnels etc… pendant 25 ans !
J’ai eu une activité théâtrale pendant de longues années, en plus de mon travail de professeure de maths physique. Et, lorsque j’ai arrêté mon métier, je me suis consacrée au théâtre. Toujours dans une compagnie amateur, Les Passeurs de Jeu. Être en amateur, permet d’avoir beaucoup de libertés. Surtout dans le choix des pièces !
PEUX-TU PRÉSENTER TA TROUPE, LES PASSEURS DE JEU ?
Au départ nous avions commencé en faisant du théâtre de rue, par la suite notre compagnie est devenue une troupe de théâtre et au cours d’une formation, j’ai rencontré Françoise Ridacker, qui est maintenant à la retraite. Une personne formidable qui nous a incité à nous fédérer. C’était il y a un moment maintenant !
Les Passeurs de Jeu ont été créés en 1992, et je crois qu’un an ou deux après nous avons adhéré à la FNCTA Grand-Est.
Nous avons un fonctionnement différent des autres troupes, nous répétons un week-end toutes les 3 semaines, avec un calendrier qui est bloqué plusieurs mois en avance. La troupe est centralisée dans un petit village, Ferreux-Quincey, mais nous sommes très étendus avec les acteurs puisque certains viennent de Paris, pour d’autres jusqu’à Troyes. Certaines années, il y avait des comédiens de Dijon, de Reims…
C’est une compagnie qui existe depuis longtemps et nous privilégions le théâtre contemporain. Nous avons progressé au fur et à mesure des années évidemment, comme beaucoup, par la formation et bien entendu à force de jouer devant le public !
En 2017, nous avons obtenu 2 prix nationaux avec Vents contraires, de Jean-René Lemoine.
La Tour d’Or à Festhéa et le prix Jean Tardieu au Festival National de Théâtre Contemporain Amateur de Châtillon-sur-Chalaronne.
En général, je fais la mise en scène, mais d’autres acteurs peuvent aussi proposer une mise en scène. La troupe travaille au projet et les comédiens et comédiennes s’engagent sur une pièce choisie.
Dans notre troupe, tout le monde n’est pas obligé de jouer ! Cela nous permet aussi plus de libertés dans le choix des pièces, sans batailler pour une distribution parfaite. Quelquefois il est arrivé qu’on ait deux pièces de en même temps, d’autres fois, une pièce continue à tourner pendant qu’il y en a une qui débute.
ET SUR QUOI TRAVAILLEZ-VOUS EN CE MOMENT ?
Alors, actuellement nous sommes sur une pièce qui est assez noire, un drame qui s’appelle Être Humain.
Une pièce particulière avec une écriture curieuse, par la structure des phrases. Ce qui a été un vrai challenge pour les acteurs car assez difficile à apprendre. Mais ils avaient envie de se confronter à un autre type d’écriture, avec ce genre de phrases déstructurées.
La pièce raconte un fait divers qui s’est passé à Neuilly-sur-Seine et qui avait défrayé la chronique à l’époque. C’était le Human Bomb, un homme qui était rentré dans une école maternelle avec des explosifs sur lui. Et qui avait fait connaître Sarkozy et l’avait fait passer pour un héros à ce moment-là (rires) . Il y a cette fameuse photo sur laquelle on le voit sortir de l’école avec un enfant dans les bras.
Ce que qu’on aime beaucoup dans cette pièce, c’est ce que les gens se souviennent surtout de cette photo. Mais là, la pièce se situe au niveau du preneur d’otages. C’est-à-dire qu’on est dans la tête de cet homme et on comprend pourquoi il a fait ça et ça, personne n’en a jamais parlé. Nous avons trouvé très intéressant que l’auteur voit cette autre facette de l’histoire. Le preneur d’otages a été abattu, et d’ailleurs, il y a eu une très grosse controverse car il avait été endormi avec des somnifères dans son café. La sœur du preneur d’otage a d’ailleurs porté plainte, la police a vraiment voulu justifier, mais finalement ils l’ont vraiment abattu pendant qu’il dormait.
L’auteur, Emmanuel Darley,a justement voulu revisiter cette histoire en se plaçant dans la tête d’Eric Schmidt. Malheureusement, nous n’avons pas pu le rencontrer car il s’est suicidé (en 2016).
Notre première a eu lieu en novembre dernier et là on a des dates jusqu’en septembre-octobre.
Comme c’est une pièce difficile, une pièce exigeante et assez dure, à tous les niveaux, dure à comprendre et dure dans le propos. Donc nous vison les festivals,
Quand nous avons des pièces plus faciles, plus légères, et tout public, nous jouons partout où on peut ! Quand on appelle les mairies pour jouer, on nous pose deux questions généralement :
– Est-ce que c’est drôle ?
Donc on répond « Non ».
-Est-ce que c’est tout public ?
Et on répond non !
Donc là c’est 2 bonnes raisons pour ne jamais jouer dans les villes parce qu’ils n’attendent pas du tout ça. Mais par contre les festivals c’est bien, parce que c’est une pièce un peu hors norme et en général, on rentre dans la programmation. Ça nous fait tourner.
VENONS EN AU SUJET DE CETTE INTERVIEW ! TU AS DÉCIDÉ DE REPRENDRE LES ÉDITIONS ABS, PEUX-TU NOUS EN PARLER ?
Pour commencer, je connais ABS édition depuis quelques années parce que je vis avec un auteur, Éric Beauvillain, que vous allez d’ailleurs interviewer !
Je connaissais bien les éditions ABS et très bien l’éditeur Philippe Absous. Alors, non seulement il éditait Eric Beauvillain, mais aussi énormément d’auteurs. Nous avons un festival dans l’Aube, Scenoblique, pendant lequel il y a un concours d’écriture et, en général il éditait tous les ans les 5 meilleurs textes de ce concours dans un recueil. On le voyait donc systématiquement tous les ans dans notre région !
Avec le temps, nous avons pas mal sympathisé, jusqu’à ce qu’un jour il annonce qu’il allait arrêter ABS édition et qu’il cherchait un repreneur. Alors, il a contacté principalement les auteurs qu’il connaissait bien, et ceux qui vendaient le plus de livres pour savoir s’ils souhaitaient reprendre la maison. De son côté, Éric ça ne l’intéressait pas parce qu’il a déjà énormément de choses en tant qu’intervenant au théâtre et tous ces ateliers.
De mon côté, je suis depuis récemment à la retraite et je me suis dit pourquoi pas, on va se lancer dans l’aventure !
Ça me me faisait un peu mal au cœur que cette maison d’édition s’arrête parce que c’est une maison d’édition spécialisée dans le théâtre et ça, il y en a très peu. Bien sûr, il y en a quelques-unes ! Mais de très connues ! Mais celle-là est vraiment particulière, car il y a beaucoup d’avantages pour les auteurs.
C’est celle qui donne le plus de pourcentages aux auteurs, les auteurs ne participent pas à l’édition (certaines maisons demandent à l’auteur de participer financièrement à l’édition de ses livres). Donc celle-là, non ! Elle prend en charge tout l’impression et tout ce qui tourne autour, quelques livres sont donnés à l’auteur gratuitement et il a bien sûr un pourcentage sur les ventes. C’est une vraie maison d’édition qui prend en charge les coûts pour l’auteur et qui n’essaie pas de gagner de l’argent sur des auteurs qui veulent se faire éditer.
DEPUIS QUAND AS-TU REPRIS LA MAISON ?
Alors, je l’ai repris depuis presque un an. Enfin, quand je dis repris il y a plus d’un an, c’est que nous avons eu beaucoup de choses administratives à faire avant qu’elle démarre vraiment. Donc on a dû la reprendre en juin 2022, et officiellement, elle n’a démarré qu’en septembre/octobre.
Nous n’avons pas changé le nom de la maison d’édition car c’est plus simple, mais par contre, on a changé toute la structure. Nous avons recréé une association, refait des comptes bancaires, on a tout remis à 0 en gros !
Nous avons aussi dû racheter le nom de domaine… pour pouvoir créer un site qui est toujours en construction. Il y avait un site avant et Philippe l’a laissé mourir forcément.
Nous nous sommes fait avoir de quelques heures pour racheter ce nom de domaine ! Donc nous avons dû tout reprendre à zéro en rachetant un nouveau nom, et pour le moment, le site est en construction !
Alors les livres sont trouvables partout, sur internet, à la FNAC, dans les librairies, mais le site n’existe pas encore, mais ce sera pour bientôt.
Notre maison d’édition a une structure associative. Il n’y a pas de salarié du tout. Je le fais bénévolement, et le comité de lecture est aussi bénévole. Nous nous sommes posé la question de la SCOP, comme ça se fait beaucoup dans tout ce qui est artistique. Mais pour le moment, elle démarre donc c’est une structure entièrement associative. Donc on recréé toute l’association, le bureau etc.
C’EST UNE SACRÉE AVENTURE ! LE THÉÂTRE FAIT EN EFFET PARTIE DE VOTRE VIE DEPUIS TOUJOURS, MAIS POURQUOI AVOIR VOULU REPRENDRE UNE MAISON D’ÉDITION ?
Effectivement, c’est surtout ma passion du théâtre et aussi le fait que je ne voulais pas que cette maison d’édition meure. Philippe Absous avait quand même beaucoup développé cette maison et je trouvais ça vraiment dommage que des livres partent au pilon.
Quand Philippe m’a raconté ça, j’étais triste de voir que ces livres auraient pu servir à des gens, des troupes… Par ailleurs, comme nous faisons beaucoup de festivals, je me rends compte que c’est l’endroit où l’on vend le plus de livres. Les salons du livre ne fonctionnent pas du tout ! Ce n’est pas ce que les gens recherchent. Bien sûr, la vente par correspondance, fonctionne très bien.
Donc comme nous sommes des habitués des festivals, je demande à chaque fois si je peux faire un petit stand, pour mettre quelques livres et comme ça, je fais d’une pierre deux coups !
DE PLUS, J’IMAGINE QU’IL Y A L’INTÉRÊT DE DÉCOUVRIR DE NOUVEAUX AUTEURS ?
Oui ! C’est intéressant de découvrir de nouveaux auteurs ou de lancer des auteurs. Alors évidemment, c’est contraignant parce qu’on peut recevoir 25 textes et il n’y en a 2 de bons dedans. Mais on ne peut pas faire autrement. Il faut bien les lire, les analyser, etc. C’est une grosse partie de la maison d’édition.
Nous essayons toujours de faire un retour aux auteurs parce que ça, on y tient ! Et pas une lettre type !
Pour cela il y un petit comité de lecture composé de trois comédiennes de notre troupe, de très grandes lectrices et qui sont assez pointues. Deux sont professeures de français, et une autre qui est passionnée de livres et de théâtre. Le comité me fait des retours, et moi je fais une petite synthèse que j’envoie à l’auteur. Et je leur dit si nous pouvons éditer le livre ou non.
Par contre, pour l’instant, on ne peut pas encore éditer parce qu’on a pas encore assez de sous en caisse ! (rires)
Nous pensions démarrer avec une subvention pour avoir un fond de roulement et en fin de compte, j’ai appris qu’il fallait au minimum un an d’existence pour faire la demande. donc ça ne se fera que cette année.
EST-CE DE NOUVEAUX AUTEURS QUI ENVOIENT LEURS TEXTES ?
Alors, tous ceux qui nous ont envoyé des textes sont de nouveaux auteurs. Par contre, dans ceux qui sont déjà à ABS, on a en particulier un auteur qui est assez connu car il a créé Le Proscenium, c’est Pascal Martin. Il a un livre par exemple, qu’il va falloir rééditer car il est très vendu. Il y a donc aussi quelques rééditions. Il y aussi deux livres d’Eric Beauvillain qu’on va être obligé de rééditer car nous commençons à ne plus en avoir et ils sont toujours demandés.
Pour le moment, j’ai deux auteurs sous le coude que j’aimerais éditer. Et puis, une dizaine qui sont en cours de lecture.
Il y a donc les rééditions avec les auteurs qui sont déjà dans le collimateur et les nouveaux auteurs qui nous envoient des textes. Là c’est forcément plus compliqué car il faut vraiment découvrir leur écriture pour voir s’ils ont le niveau.
Nous n’intervenons pas dans le texte de l’auteur, mais si la pièce est intéressante et qu’on se dit mince c’est dommage, là il y a des longueurs… On peut en faire part à l’auteur. Après nous ne jugeons pas du style, parce que le style ça ne nous regarde pas du tout, c’est juste de voir s’il y a une petite chose à améliorer. Nous trouvons ça dommage quand une pièce est vraiment bien et qu’il y a juste un petit truc qui est flou, ou alors une fin qui n’est pas compréhensible, de ne pas le dire. Donc nous pouvons toujours en faire part mais normalement ce n’est pas notre rôle. Mon principe est de voir si cette pièce est jouable.
Pour le moment, ABS Éditions n’a pas encore de site, “le temps de le faire et que tout se mette en route”.
Vous pouvez retrouver les pièces éditées sur les plateformes en ligne.
Mais aussi les contacter directement :
abstheatre@free.fr
Cette interview est en lien avec
Quelques questions avec… Eric Beauvillain, auteur de théâtre
Quelques questions… avec Philippe Absous, ancien éditeur d’ABS éditions