Quelques questions… avec Philippe Absous, ancien éditeur d’ABS éditions

Dans une précédente lettre, j’avais évoqué la fraternelle des folles et des fous de théâtre. Cette interview croisée autour de ABS montre que dans cette fraternelle, il y a le “tabernacle” des éditions théâtrales. Car c’est une folie d’éditer des pièces qui se vendent mal et qui oblige l’édition a refusé de nombreux textes au risque d’être mal compris. Et pourtant cette folie est contagieuse car elle est passée de Philippe Absous à Corinne Tissier à qui je souhaite tout le bonheur de vendre les pièces. Vous lirez que la FNCTA est au centre des motivations des uns et des autres, c’est d’ailleurs à l’AG nationale de mai dernier que j’ai croisé Corinne. Quant à Philippe, je le remercie encore de m’avoir fait connaitre LES REGIMES TOTALITAIRES que nous avons montées en 2014 avec beaucoup de plaisir…il y a tant de pièces ABS que j’ai lues et que j’aurais aimé monter….peut être dans ma prochaine vie ? Troupes, achetez des pièces ABS et jouons !

Gilles Champion

INTERVIEW

PHILIPPE ABSOUS · ANCIEN ÉDITEUR D’ABS ÉDITIONS

POUR COMMENCER, PEUX-TU TE PRÉSENTER POUR NOS LECTRICES ET LECTEURS ?

Je m’appelle Philippe Absous.
Je suis un vieux, j’ai 75 ans actuellement !
Et là, c’est le côté sérieux de ma bio, j’ai exercé 9 métiers. Don 6 ou 7 où je me suis profondément ennuyé. Jusqu’à créer une entreprise d’audiovisuel dans laquelle je faisais des reportages, des réalisations. J’ai travaillé pour Christian Dior et pour Mercedes quand même ! J’avais une petite société avec 4 caméramans. Et puis, quand j’ai déménagé dans le Lot, à 500 km de mes bases, certains clients m’ont un peu abandonné ou c’est moi qui les ai abandonnés !

Donc j’ai pu me relancer dans ma passion qui était l’écriture. C’est là que j’ai commencé à tester le web, et je suis tombé sur le site de Pascal Martin : Le Proscénium qui, à l’époque devait compter une dizaine d’auteurs, maintenant il y en a plusieurs milliers !

ET C’EST DONC À PARTIR DE CE MOMENT QU’À DÉBUTÉ ABS ?

En 2002, j’ai rencontré Pascal Martin, En 2004, nous avons monté le statut officiel des éditions, sous forme associative. Et ça a toujours été une association.
Je n’existais pas sur les statuts en espérant me faire rémunérer un jour, ce qui n’est jamais arrivé ! Je n’étais rien, mais je faisais tout ! (rires)
Mais toujours avec plaisir, puisqu’ il y avait un enthousiasme fou !
En un an, j’ai eu 50 demandes de textes que j’imprimais sur ma pauvre petite imprimante qui fumait, jusqu’au jour où j’ai rencontré un imprimeur. Un imprimeur très important de dans le Lot, à Cahors à côté de chez moi.
J’ai donc sorti mon premier bouquin, qui était de moi, parce qu’au départ il n’y avait pas encore de notion d’édition. Et j’en ai vendu 500 en trois mois ! Ce qui pour du théâtre est quand même pas mal ! J’ai dû rééditer ma pièce !
J’ai remercié Pascal Martin, et puis je me suis dit que je devais faire autre chose qu’un merci. Nous avons donc édité un recueil de textes qui était paru sur le Proscenium, Opération Canapé, et qui a été un très grand succès également.

J’ai eu la surprise agréable en allant à à la Librairie Théâtrale à Paris, de constater qu’il y avait une pile de mes bouquins. Une très grande fierté !
Ça s’est enchaîné et pour remercier encore Pascal, j’ai sorti un recueil de ses textes, Joyeuses Condoléances, qui est une des meilleures ventes des éditions.

Sans Pascal, il n’y aurait pas eu ABS. Il m’a incité à continuer, et il a même créé un site internet pour les éditions. Je ne savais pas faire ça et lui il l’a fait gratuitement.

J’ai commencé fin 2004, à prospecter toutes les librairies de France. Je m’étais fixé un objectif : une librairie par département et je faisais de la prospection téléphonique. En général, j’étais très bien reçu, mais bon, le théâtre se vend un peu comme du sable dans le désert !
En revanche, j’avais trouvé un truc qui était pas mal, c’était d’appeler les médiathèques. Elles ne peuvent pas acheter en direct et il faut qu’elle passe par leur libraire. Je passais donc par le libraire, à qui je disais que la médiathèque voulait bien acheter mes livres, mais ne pouvait pas car la librairie ne les avait pas. Et ça, ça a très bien marché !

TU AS DONC APPRIS LE MÉTIER D’ÉDITEUR SUR LE TAS !

Avec le site Le Proscenium, j’avais aussi beaucoup de visites et une belle vitrine. Les manuscrits ont commencé à pleuvoir, au début, j’en recevais un par semaine et à la période la plus favorable en 2008, j’en recevais 3 par jour !

Alors là, c’est chronophage. Il a fallu que j’adopte des systèmes de lecture, que j’ai trouvés sur internet, car je n’avais pas cette expérience, ni cette formation.

Donc ça consistait à lire la première page, et si ça n’accroche pas du tout, pour le style, ou parce que c’est trop fumeux, j’abandonnais. Je n’ai jamais édité de texte… trop intello !

À une époque, du temps ma gloire (rires) je faisais le salon de Paris, pendant 5 ans. Au moins 25 personnes nous ont rendu visite sur 50 000 visiteurs !
J’ai poursuivi le maire de Paris, Bertrand Delanoë ! Je l’ai accosté quand il visitait le salon, et je lui ai offert un livre. C’était un recueil de 18 textes par 16 auteurs, Les Bienfaits de la colonisation. En 2005, un député chiraquien avait demandé à ce que l’on fasse quand même l’éloge de la colonisation. Ça m’avait hérissé le poil et avec Pascal Martin, nous avons lancé un concours d’écriture. Le livre est formidable, est le titre qui est dessiné est fait en lettres de sang. Je lui ai donc offert le livre et huit jours après, il m’a envoyé un petit courrier très sympa en disant que c’était courageux qu’une petite maison d’édition ose s’attaquer à un thème qui crée beaucoup de polémique. Ce recueil a beaucoup été monté !

ET COMBIEN D’AUTEURS ET AUTRICES AS-TU ÉDITÉ ?

Alors, ça va te paraître bizarre, j’ai édité 106 textes, mais j’ai eu 150 auteurs.

Parce que la spécialité d’ABS, que d’ailleurs je n’aurais jamais dû abandonner, car c’est peut-être ce qui a créé la baisse forte d’ABS.

Notre spécialité était le recueil de sketchs. Nous proposions un thème, en lançant un concours d’écriture. Pour ça Le Proscenium était très pratique puisqu’ il y avait énormément de lecteurs, et nous avons eu jusqu’à 150 participants pour certains recueils.

Par la suite nous avons aussi créé un comité de lecture avec une triple lecture, à l’aveugle. C’est-à-dire, que nous ne savions pas qui était l’autrice ou l’auteur, et j’ai eu la surprise de découvrir qu’un dénommé Éric Beauvillain avait passé toutes les sélections ! Quand il y avait 150 auteurs, il était dedans, quand il y en avait 30, il était dedans. Il était toujours dedans !

Nous avons donc sympathisé et un jour, il est venu me rendre visite dans mon trou perdu de B du Q… Ça veut dire Belfort-Du-Quercy ! J’habitais une maison qui s’appelait La Sexalio. La Sexalio à B du Q, ça attire le client quand même (rires) !

Il est passé un jour d’été, on a sympathisé, et ça a été le début d’une grande aventure.

Le summum a été Scènoblique, un festival de théâtre qui a lieu à Troyes et qui fait un concours d’écriture. C’est un festival formidable et j’y suis allé une première fois en éditant le recueil des meilleurs textes primés par le jury de Scènoblique. Puis j’ai édité pendant une dizaine d’années les meilleurs textes du concours. Ça s’est arrêté un peu avant le COVID. Chaque année j’éditais le bouquin du festival, y compris en 2015 pour 50 ans… ou les 25 ans… Je ne sais plus ! (rires)

J’ai juste eu une fois un petit accroc avec un auteur, la seule anicroche sur plusieurs milliers de contacts. Mais finalement je me suis excusé en lui disant qu’on avait du mal se comprendre et lui aussi s’est excusé.

C’était quand même beaucoup de travail et j’essayais de répondre au maximum à tous les auteurs. Alors des fois certains me demandaient des nouvelles, mais rendez vous compte 2500 textes, il fallait patienter un peu !
Je n’ai jamais mis à la poubelle sans au moins jeter un coup d’œil. Il y avait un temps pour lire les auteurs qui nous accrochaient, et puis il y avait la mise en page. J’ai fait la mise en page de 80% de tous les livres, ça prend un temps fou, c’est du plaisir, mais une journée ne dure que 24h.

Un grand souvenir c’est l’appel de Christian Rullier (qui est décédé, malheureusement maintenant.) C’est un auteur qui a été énormément joué dans le circuit professionnel.
Suite à une édition du festival de Châtillon-Sur-Chalaronne, il m’a appelé en me disant qu’il aimait beaucoup les livres que j’éditais, qu’il y avait de la couleur et que c’était attractif.
Il avait écrit une pièce, Sur tout ce qui bouge. Je l’avais dans ma bibliothèque et franchement, le livre était horrible (rires) !
Il avait envie de le rééditer, car il s’était fâché avec son éditeur. Je lui ai donc fait une maquette et je lui ai envoyé. Il était… excusez-moi l’expression, “sur le cul” !
On l’a édité et ça doit être un de mes 2 ou 3 plus grands succès de la maison.

On a fait un bon bouquin ! Avec le respect de l’auteur bien sûr. Une belle mise en page soignée, une couverture top, avec des couleurs qui pètent comme un petit bijou ! Quand on le voit on a envie de le prendre ! Et grâce à Christian Rullier beaucoup de portes se sont ouvertes. Même pour vendre mes gaudrioles !

QU’EST-CE QUE T’AS APPORTÉ CETTE AVENTURE ?

C’est un grand bonheur ! Quand on téléphone à un auteur pour lui dire qu’il va être édité, il a l’impression d’avoir décroché le prix Goncourt !

Or, souvent c’est cinquante ou cent livres vendus. Les grands succès, c’est 1500 ou 2000 livres vendus, mais il n’y en a pas beaucoup plus…

Alors j’avais tellement de plaisir à partager ce bonheur avec l’auteur, que j’en ai peut-être édité un peu trop ! En fait, je regardais ça comme un caissier, il y avait de l’argent dans la caisse, alors j’avais de quoi éditer un livre. Ce n’était pas raisonnable !

Un de mes plus grands souvenirs c’est un message d’Alain Coltier. Je suis assez insomniaque, donc la nuit, je vais sur le web. Une nuit, je reçois un mail d’Australie, et ce dénommé Alain Coltier, qui est correspondant journaliste du journal L’Équipe et de Libération dans le domaine sportif. Son mail disait qu’il avait vu que j’éditais du théâtre et qu’il m’envoyait donc son texte. Je lis la pièce jointe et je trouve ça absolument formidable ! Dans l’heure qui suit, je lui envoie un message, puisque chez lui il faisait jour, et je lui dit “Allez ! Banco ! On l’édite !”.

Il s’agit du livre Mexico 68, trois hommes et un destin. C’est l’histoire de cette photo, de trois hommes sur un podium pendant les jeux olympiques qui dressent le poing (Reconstitution, à partir de témoignages, de la discussion entre Tommie Smith, Peter Norman et John Carlos avant de monter sur le podium et de lever un point ganté de noir à Mexico en 1968). J’envoie le contrat et il me le renvoie signé dans les 48 heures. Une semaine après, il me dit qu’il l’a envoyé à 10 maisons d’édition et qu’il a eu 10 réponses positives ! Mon seul avantage, c’est que j’étais insomniaque !

Et il ne faut pas que j’oublie mon ami Gilles Champion quand même ! Que j’ai rencontré à Châtillon. Nous avons tout de suite sympathisé, et il est devenu le chroniqueur des bouquins d’ABS. Dès que je sortais un bouquin, je lui envoyais et il me renvoyait son avis. Et après il publiait à ces divers contacts. C’était très sympa. Il m’a fait découvrir des auteurs pendant les lectures à Châtillon, comme Régis Meney, Raphaël Toriel… Et je les ai édités, bien sûr.

Et un autre auteur, et là il n’a pas eu besoin de m’encourager à l’éditer, c’était Gérald Gruhn. Il était passé à Châtillon avec sa pièce, Autopsie. Un petit texte formidable. J’ai demandé à la fin de la représentation si l’auteur est présent. Nous avons pu discuter et j’ai édité sa pièce !

Il y a ce plaisir de l’édition, qui est agréable quand l’auteur est en confiance. Par exemple, Pascal Martin avait une série de petits textes, et je trouvais qu’il n’y en avait pas assez, le livre était un peu mince. Je l’ai donc incité à en écrire d’autres en lui disant qu’il fallait qu’il arrive à 25 ou 30 textes. Il s’est donc mis au boulot et nous avons beaucoup échangé dessus.
Il avait nommé son livre Une belle cérémonie. Je ne trouvais pas ça très alléchant en lui disant de trouver quelque chose qui accroche un peu plus ! Et comme les textes parlaient beaucoup de macchabées, je lui ai suggéré Joyeuses Condoléances. Et ça a été le titre!
C’est le plaisir de l’éditeur, de participer et d’aider l’auteur.

Un autre très grand souvenir, c’est une très belle rencontre avec un dessinateur, Laplote. Nous avions un peu les mêmes passions. Lui, dessinait des caricatures, et moi, j’écrivais des textes un peu acerbes sur les nos politiciens. Et nous avons fait un livre qui s’appelle Le Frictateur. La victime, c’est Paul Bismuth, parce que je ne veux jamais l’appeler par son nom. Mais si vous faites des recherches, vous verrez qu’il a été président de la République pendant 5 ans. Et ça, c’était formidable !

Nous avons sorti le bouquin au salon du livre de Paris, et nous en avons vendu 400, les gens venaient et nous demandaient des dédicaces, c’était complètement furieux !

Mais là, ce n’est pas du théâtre… C’est un livre illustré.

TU N’AS PAS ÉDITÉ QUE DU THÉÂTRE ?

J’aime bien les textes et puis les relations. J’en ai fait un très bien avec Pascal Martin, Tsehay. Il s’agit d’un photographe qui allait chaque année en Éthiopie pour le compte d’une ONG. Il en a rapporté des photos, et les a soumises à une amie qui était professeure des écoles à Toulouse. Elle a eu l’idée de montrer les photos aux enfants, qui ont écrit des poèmes à partir de ces photos. C’est un livre magnifique.

Ça, grâce à Pascal aussi, et tous les bénéfices ont été reversés à l’ONG bien sûr. Ce sont de belles rencontres !

Le plus grand succès d’ABS édition, ce n’est pas du théâtre, c’est un livre qui s’appelle Elle voit des kikis partout, c’est la biographie d’une chercheuse de truffes de mon patelin puisque j’habite Lalbenque, capitale de la truffe noire.. de Lalbenque ! C’est un personnage très truculent et c’est un livre illustré dessiné. Il y a les illustrations et la moitié du livre raconte l’histoire de cette dame, sa biographie que j’ai écrite. Mais je raconte aussi la vie des cochons, car chaque année elle tuait un cochon pour le jambon. J’ai donné la parole aux cochons et chacun raconte sa vie chez Marthe. Il y a le cochon amoureux, le cochon gourmand, le cochon téléviseur, il s’assoit dans le fauteuil pour regarder la télé… Enfin, il y a pleins de bêtises !

Et ça c’est aussi un des plus grands succès de la maison. Mais il y a aussi Pascal Martin, Christian Rullier et évidemment Eric Beauvillain. Ce sont des livres qui étaient rentables à chaque fois.

ET PEUX-TU NOUS PARLER DE TON PARCOURS D’ÉCRIVAIN ?

Alors… Oui moi j’écris surtout dans le burlesque. Mais j’ai un frère qui est beaucoup plus littéraire que moi, peut-être encore plus burlesque que moi. Ensemble, on écrit énormément de petites piécettes. Et la première fois que ça a commencé à marcher, c’était en 1984 avec Dix personnages en quête d’un meurtre et qui a été pas mal joué.

La plus fabuleuse mise en scène a été avec une petite compagnie dans le Jura, La Compagnie des Brayettes. Ils nous ont invités à aller là-bas et c’était un souvenir formidable !

Une salle surchauffée, les gens étaient debout et ça riait ! C’était l’hystérie collective ! Et ça, c’est un grand souvenir. Et c’est en grande partie grâce à Éric, puisqu’il les avait aidés à la mise en scène.

Nous, nous l’avions monté dans notre patelin. Nos amis riaient beaucoup, mais ça ne prouve pas grand chose !

J’ai commencé le théâtre quand j’avais 10 ans, mais comme tout le monde, on jouait une fois dans l’année, il y avait famille, les copains… Quand je suis arrivé dans le Lot, j’ai intégré une petite compagnie et là on sillonnait le département et on jouait chaque pièce 30 fois, c’est une dimension complètement différente.

Ça a évidemment changé mon style de jeu et puis mon style d’écriture aussi. On devient plus exigeant.

ET AUJOURD’HUI ?

Aujourd’hui je continue le théâtre et je joue dans une petite compagnie Ni Queue, Ni Tête. Et en ce moment, nous jouons une pièce que j’ai écrite, Loq Story. C’est le loft pour les vieux, et ça consiste à mettre des vieux ensembles pour qu’ils se crêpent le chignon. Mais non ! Ça ne marche pas comme ça !
J’ai eu la surprise d’entendre les gens rire parce que moi, la pièce je la connais tellement que ça me fait plus rire du tout.

ET QUEL EST TON SENTIMENT AVEC LA REPRISE DES ÉDITIONS PAR CORINNE TISSIER ?

C’est une grande joie ! Au départ, j’ai trouvé quelques repreneurs, mais on me demandait des statistiques, des retours sur investissement etc… Donc ça n’a jamais marché. Éric Beauvillain, qui est le compagnon de Corinne, m’avait dit il y a une dizaine d’années, qu’il pourrait reprendre les éditions dès que sa fille aurait fini ses études. Et puis ABS a périclité.

Et depuis Corinne est à la retraite et elle s’est lancée !

UN PETIT MOT POUR FINIR ?

Vieillir le plus lentement possible. Enfin, au niveau du théâtre ! Et faire vivre ma petite compagnie.